Quelques mois après l’assassinat de sa petite sœur Cécile, 11 ans, le 5 mai 1986, par un tueur à la peau grêlée qu’il a croisé dans l’ascenseur de leur résidence, Luc Richard-Bloch se rend au 36 quai des Orfèvres. Étudiant en biologie à Jussieu, il veut éclairer la brigade criminelle sur les progrès de la science : « En Angleterre et en Belgique, on extrait l’ADN pour résoudre des affaires criminelles. » Il explique aux inspecteurs du bureau 302 cette technique révolutionnaire, de nature à aider l’enquête mais dont « on ne parle pas dans les journaux ». En stage au laboratoire du CNRS de Gif-sur-Yvette (Essonne), celui qui prépare un DEA de physiologie cellulaire et moléculaire des plantes manipule l’ADN, « grâce à une petite machine comme un chauffe-biberon sophistiqué ». Il expose aux policiers qui peinent à débusquer le meurtrier de sa sœur la trouvaille d’un généticien britannique : un an plus tôt, en 1985, Alec Jeffreys a mis au point un « protocole précis en matière criminalistique pour comparer de l’ADN contenu dans le sang, le sperme ou même le bulbe d’un cheveu prélevé sur les lieux d’un crime avec celui d’un suspect, et obtenir ainsi une identification incontestable ».

Face à cet exposé savant et passionnant, Bernard Pasqualini et ses gars, qui viennent tout juste de récupérer un appareil radio Motorola crypté et tapent encore leurs PV sur de vieilles machines à écrire Olympia, regardent le frère de la victime « avec des yeux de merlan », selon le chef de groupe. « Pour nous, c’était de la science-fiction. » Son adjoint, Jean-Louis Huesca, se souvient de ces révélations : « C’était de l’hébreu ce qu’il nous racontait, aucune recherche ADN n’avait été faite sur le territoire français alors qu’il y avait déjà des identifications et un fichier en Angleterre. Ici, on plaçait encore les pièces à conviction sous scellés dans du plastique, sans savoir qu’il fallait les mettre dans du papier kraft pour ne pas les altérer. »
Sortez les scellés que vous avez dans de vieilles affaires, il ne faut pas que ça moisisse, il faut que les sous-vêtements ou les tissus tachés de sperme soient séchés.
Le ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe, avait certes lancé, au milieu des années 1980, un plan de modernisation de la police technique et scientifique (PTS), mais la France a, à cette époque, encore énormément de retard à combler. Les analyses des groupes sanguins des suspects épuisent les traces biologiques prélevées sur les cadavres.