Le foie et les magrets de canard cuisent ensemble dans une quantité appétissante de gras. Maïté découpe un énorme pain de campagne, y glisse quelques feuilles de salade puis des gésiers. Elle ajoute alors le foie gras et les magrets dégoulinants. Et commente : « On n’enlève pas le gras parce que c’est bon. Ça nourrit son homme. C’est pas difficile. » En quelques secondes, Maïté vient de nous apprendre à préparer un « hamburger rionais ». Nous sommes en 1992. À l’époque, comme elle dit, bien manger n’était pas difficile. Ça voulait dire que le repas était bon et qu’en sortant de table, on n’avait plus faim. C’était en tout cas ce que je retenais quand, enfant, je voyais la cuisinière la plus célèbre du pays donner sur France 3 des recettes le plus souvent à base de gras, de viande, de gras et de sauce. Et aussi de gras.
Vingt-cinq ans plus tard, le bien manger a complètement changé de sens. En février dernier, un célèbre magazine féminin publiait un article se demandant si « le souping » pourrait devenir « le nouveau juicing d’hiver ». Le souping est un véritable art. Il consiste à cuire puis à mixer des légumes d’hiver, afin d’obtenir un breuvage chaud et onctueux. Attention, ça n’a rien à voir avec une vulgaire soupe. En effet, les ingrédients de base du souping sont « des légumes aux effets détoxifiants » capables d’« éliminer les toxines » et de « purifier l’organisme ». Petit spoiler sur la suite de cette obsession : on va vous raconter pourquoi cette allégation n’a aucun sens.
Nous vivons à l’ère du souping, et c’est compliqué. Entendons-nous bien. La majorité d’entre nous voudrions bien manger en suivant des critères assez simples. On pourrait les définir ainsi : manger des aliments bons au goût et pour la santé, qui ne nuisent ni aux autres, ni à l’environnement. Et qui, éventuellement, ne font pas souffrir d’animaux. On ne voudrait pas passer pour des pinces, mais on aime bien aussi l’idée d’éviter de dépenser un bras pour nos repas si ce n’est pas justifié. Ce qui est compliqué, en fait, c’est la mise en application de toutes ces exigences. Disons-le clairement, on ne sait plus quoi manger, ma bonne dame.
En février, on apprenait en lisant Sud-Ouest qu’on trouve des traces de pesticides vinicoles jusque dans des salles de classe et des maisons du Médoc. En lisant cette info, vous avez sûrement une seule envie : boire et manger des aliments produits sans pesticides de synthèse et ne pas contribuer à ce genre de pollutions. Dans un monde parfait, il suffirait de faire l’ensemble de ses courses dans des magasins bios ou de choisir seulement des aliments dont l’emballage contient des labels et mentions à la cool. Ensuite, on danserait tous la ronde en riant dans un monde propre et doux.
Mais chaque semaine, l’actualité nous rappelle la vérité : c’est compliqué. D’abord, c’est compliqué parce que de nombreux livres et documentaires montrent la face cachée de la production du bio low-cost. On sait maintenant que le bio à la sauce industrielle peut être injuste et peu durable. C’est compliqué, aussi, parce que le bio est devenu un business dans lequel les distributeurs investissent des milliards d’euros. Ils n’hésitent pas à en tirer des marges excessives, selon plusieurs associations de consommateurs. Dernier en date, Carrefour, dont le président Alexandre Bompard a annoncé triomphant fin janvier dernier un virage bio pour son entreprise. Avant de glisser un autre détail : le plan du nouveau PDG prévoit aussi quelques milliers de suppressions d’emplois.
C’est compliqué parce que beaucoup de professionnels trichent et/ou se trompent malencontreusement en notre défaveur. En octobre dernier, une équipe de France 3 a fait rechercher des résidus de pesticides sur des carottes. Celles vendues chez Bio c’bon présentaient « des résidus de trois produits phytosanitaires », qui sont « totalement interdits dans la culture biologique ». Peut-être la faute à des substances utilisées par les voisins des champs de carottes bios, on ne sait pas bien. Quelques semaines plus tard, l’association Foodwatch révélait, elle, que plusieurs producteurs et distributeurs de produits bios rusent avec les flous de la notion de « made in France ». Dernier exemple en date, une enquête de l’association 60 millions de consommateurs publiée en mars dernier et menée sur 74 produits bios. 10 % d’entre eux contenaient des doses de produits chimiques jugées « insatisfaisantes » voire « très insatisfaisantes ».
C’est compliqué, enfin, parce que les labels sont un véritable bordel. Ces derniers mois, on a vu apparaître les mentions « cultivées sans pesticides » à propos de tomates et « zéro résidu de pesticides » dans les rayons. Elles s’ajoutent au logo « agriculture biologique », à la feuille européenne, aux labels Bio cohérence, Nature & progrès, Demeter, Bio partenaire ou encore aux allégations du type « detox » qu’on a lues dans l’article sur le souping.
D’ailleurs, on va commencer par là. Dans le deuxième épisode de cette série, nous vous proposerons un véritable manuel de survie face aux labels. Pas sûr que ça purifie votre organisme, mais ça vous sera très utile pour détoxifier vos listes de courses.