Éric, la soixantaine décidée, a pris la parole en premier, la main droite prise dans une attelle. Il a raconté la façon dont il a vécu la soirée du mardi 7 décembre, devant l’église Notre-Dame-de-Bon-Port, à Nantes, où il était venu voir, comme quelque 400 spectateurs, l’organiste Anna von Hausswolff. « J’ai été blessé dans la bousculade, un doigt qui a nécessité une opération. Je pensais aller porter plainte à la police, mais je me suis dit que j’allais attendre cette réunion pour faire quelque chose de collectif. C’est très grave ce qu’on a vécu. Moi, je suis blessé, mais c’est le fond le plus important, cette atteinte aux libertés. » Cette action collective, ce sera une plainte du Lieu unique en tant qu’organisateur de ce concert empêché par des intégristes catholiques bien organisés (lire l’épisode 1, « Des concerts crucifiés dans un silence de cathédrale »). Elle sera nourrie par les témoignages des spectateurs et, très probablement, sur la base de l’article 431-1 du Code pénal, qui punit « le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique ».

Ce jeudi soir, dans le salon de lecture du Lieu unique, où les visiteurs du haut lieu culturel nantais peuvent venir se poser pour parcourir des ouvrages en accès libre, s’est tenue une réunion que beaucoup attendaient, un peu plus d’une semaine après l’annulation du concert nantais d’Anna von Hausswolff. Depuis, tout le monde, spectateurs comme organisateurs, ruminait cette défaite avec l’impression de s’être fait déposséder de son droit à aller voir en paix un événement culturel, organisé avec le diocèse et parfaitement autorisé. Dans les prises de parole successives, la même crainte a alors été réaffirmée encore et encore : la liberté de création et la liberté tout court ont pris un sale coup ce soir-là dans une rue de Nantes, devant une police immobile et dans un silence politique qui n’en finit pas de questionner. « Aujourd’hui, il s’agit donc de passer du registre de l’émotion au registre de la réflexion, a lancé Eli Commins, le directeur du Lieu unique. Il est important que l’on voie tous ensemble ce que l’on peut en faire, les possibles suites » à donner juridiquement, face à cette entrave menée par de très jeunes manifestants revendiquant un catholicisme d’extrême droite et accusant Anna von Hausswolff de salir les églises avec sa musique du diable.
Mais avant d’en arriver à la discussion juridique, le micro a circulé au milieu des quelque 25 personnes présentes, entre spectateurs à la voix tremblante et membres de l’équipe du Lieu unique encore franchement choqués.