Lorsque les concerts d’Anna von Hausswolff à Nantes, puis à Paris, ont été empêchés par la mobilisation d’intégristes catholiques au début du mois de décembre 2021 (lire l’épisode 1, « Des concerts crucifiés dans un silence de cathédrale »), un même sentiment a traversé tous ceux et celles qui connaissent un minimum la musique metal, la grande sphère où s’exprime l’organiste suédoise : encore ? À l’ère des voitures électriques et des télescopes géants lancés à travers l’espace, plus de cinquante ans après l’apparition du genre dans les mains de Led Zeppelin, Black Sabbath et Jimi Hendrix dans un glissement du rock devenu surpuissant, échevelé et riche en solos de guitare, le metal serait encore sulfureux ? Il serait toujours un outil chargé de faire descendre Satan sur la terre des croyants ? Inscrire une croix renversée sur un t-shirt ou détourner créativement la symbolique des églises gothiques resterait un vulgaire blasphème ?
On l’a vu dans l’épisode précédent (lire l’épisode 3, « Concerts annulés : la communion des extrêmes droites ») de cette série, le blocage des concerts d’Anna von Hausswolff était avant tout l’expression médiatique d’une guerre de positions au sein de la communauté catholique de France, où intégristes et antipapes se mêlent actuellement à une extrême droite dégoupillée par la campagne présidentielle pour défendre leur bastion ultraconservateur assailli par une société qui change sans eux. La musicienne suédoise était, dans cette histoire, une cliente parfaite. Mais on ne peut que s’étonner de constater que, là encore, les arguments choisis pour l’accuser soient vieux comme une Bible abandonnée dans le tiroir de mamie : un satanisme de pacotille dans une de ses chansons (qui parle pourtant de drogue de façon très lisible) et le simple fait qu’elle vienne jouer de l’orgue
Olivier Bobineau est sociologue et historien du christianisme, membre du Groupe sociétés religions laïcités du CNRS et lui-même amateur de musique metal. Il a notamment cosigné Le satanisme, quel danger pour la société ? (Pygmalion, 2008) et l’article La musique metal : sociologie d’un fait religieux (revue Sociétés, 2005). Il y revenait sur la façon dont cette musique et ses sous-genres, du thrash au black metal, n’ont fait qu’absorber et réutiliser à leur façon les codes et les passions des religions chrétiennes.