Aujourd’hui, Les Jours se téléportent en 1912 grâce à Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BNF). La Première Guerre mondiale n’a pas encore eu lieu, Raymond Poincaré est président du Conseil, la tour Eiffel surmonte fièrement Paris. Mais la capitale frissonne aussi de la peur des « apaches » – les voyous de l’époque –, de la psychose des « bandits ». Dans cette « période dure, où l’on célèbre l’autodéfense », rappelle l’historien Jean-Marc Berlière, une « phobie de l’insécurité » pas toujours rationnelle s’est emparée des esprits. À en croire la presse, les armes à feu courent les rues. En 1910 déjà, Le Petit Journal s’alarmait de « l’âge du revolver », « fléau de ce temps » : « Le revolver est de toutes les contestations et de toutes les disputes. On ne se flanque plus de coups de poing, plus de gifles, on ne se jette plus ses gants au visage ; on s’envoie des balles de “Browning” ; c’est plus expéditif. »
Depuis 1911, la crise sécuritaire a un visage (et même plusieurs, tant qu’à faire) : Jules Bonnot et sa bande de braqueurs anarchistes, d’une modernité et d’une efficacité redoutables dans leurs automobiles. Au fil de ses forfaits, la « bande à Bonnot » tue de nombreux agents de police. Elle « dispose d’un formidable arsenal » acquis lors d’un cambriolage, écrit le journal monarchiste Le Gaulois, qui en dénombre les fruits : « neuf carabines Winchester, dix-neuf revolvers et six fusils de chasse ! » (le point d’exclamation est d’origine). C’est dans ce contexte qu’en 1912, les autorités décident d’armer la police judiciaire, pour compenser « l’état d’infériorité actuel » et « ainsi venir à bout de l’audace des bandits ». Comme toujours depuis, l’argument d’une nécessaire égalité des armes entre les policiers et leurs adversaires vient à l’appui du renforcement sécuritaire.
Jusqu’au début du XXe siècle, explique Jean-Marc Berlière, l’armement des policiers ne va pourtant pas de soi (contrairement à celui des gendarmes, de tradition militaire). Certes, les gardiens de la paix parisiens, qui patrouillent les rues en uniforme et ont très souvent un passé militaire, disposent « d’un sabre-baïonnette » et d’un revolver, « qu’ils portent sous leur tunique et dont ils ne se servent quasiment jamais ». On retrouve dans la presse de l’époque des articles raillant leur piètre qualité.