Mis en place dans les mairies lors de la crise des gilets jaunes, les cahiers de doléances sont désormais loin des regards, dans les archives départementales. Coups de gueule, idées, encouragements : les citoyens y interpellent Emmanuel Macron. Cet été, tous les midis, « Les Jours » vous en partagent un extrait, brut.
«7 janvier 2019
Monsieur le secrétaire d’État [adressé à Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d’État chargé du Numérique, ndlr],
Je vous ai vu sur une chaîne d’information courant décembre à propos de la numérisation des services de l’État et je voudrais vous faire part de quelques remarques. Dans cette interview, vous expliquiez que 20 % des Français ne savaient pas se servir d’internet. Là, je me dis : “Enfin un homme politique qui appréhende le désarroi de beaucoup de nos compatriotes devant un clavier et un écran !” Je pense en effet qu’il y a, au bas mot, plus de 20 % des Français qui sont réfractaires au “numérique”. Mais vous ajoutiez avec un sourire : “En même temps, on va les former…” Et là, mon enthousiasme retombe comme un soufflet et je me dis : “Décidément, lui non plus n’habite pas dans le même pays que moi.”
Est-ce que vous imaginez réellement former 20 % de nos compatriotes au numérique ou est-ce que vous êtes dans votre rôle d’homme politique solidaire du gouvernement et voulez justifier la numérisation de tous les services administratifs de l’État sans en mesurer réellement les conséquences ?
Dans l’hypothèse où vous êtes sincère et imaginez former tous les Français au numérique, je pense que vous manquez de réalisme : tout le monde ne pourra pas être formé au numérique et cela va devenir un véritable handicap pour beaucoup. Je dirige une PME dans un département rural, la Corrèze (qui a tout de même donné deux présidents à la Ve) et je peux vous garantir que plus de 20 % de mes concitoyens ne pourront jamais se former au numérique. Et par la suppression de tous les formulaires papier et tous les guichets administratifs, vous créez des citoyens qui se sentent exclus dans leur propre pays. À titre d’exemple, j’ai discuté il y a peu avec une de mes coursières qui m’a avoué avoir pleuré pour récupérer une carte grise d’un véhicule qu’elle avait acheté. Elle m’a précisé : “Avec tous ces nouveaux services sur internet, je me sens comme un migrant dans mon propre pays.” Avec cette numérisation menée à la hussarde, vous participez à la fracture numérique et à l’exclusion sociale qui pousse à enfiler un gilet jaune pour faire comprendre au monde politique qu’il fait fausse route et c’est toute la cohésion de notre pays qui est en jeu.
Il existe pourtant des solutions simples pour mettre en place cette numérisation des services administratifs : il suffit d’organiser dans les mairies des permanences de “guichets numériques” avec des personnes réellement formées pour aider nos concitoyens dans toutes leurs démarches administratives. De telles mises en place sont urgentes à l’heure où beaucoup de Français se sentent abandonnés par l’État et sont tentés par un vote populiste.
En espérant vous aider à voir notre pays tel qu’il est et participer ainsi au “débat citoyen” voulu par le président de la République, je vous prie d’accepter mes respectueuses salutations.
C.C. »