Avouez qu’on en crève tous d’envie. Imaginez, devant nous, les nobles croupes de Milford Haven, Sir Basil, Storm et Tyrone chaloupent, donnant un rythme des plus dignes à nos augustes séants confortablement calés dans ce landau d’Ascot que tractent nos nouveaux amis. Car oui, Milford Haven, Sir Basil, Storm et Tyrone sont les royaux canassons qui vont avoir l’honneur, ce samedi, de transporter les tout jeunes mariés Harry et Meghan au sortir de Saint George’s Chapel qui jouxte le château de Windsor. Sauf s’il pleut. S’il pleut, une autre hippomobile est prévue, le Scottish State Coach, avec un toit cette fois – s’agirait pas que leurs altesses abîment leurs nippes. Nippes dont on ne sait rien à l’heure où nous écrivons ces mots en pixels dorés sur la toile gaufrée des internets sinon que la robe de Meghan envisagée pourrait coûter 113 000 euros. On comprend aisément alors le conseil prodigué aux 2 600 quidams (organisations caritatives, écoliers, personnel au service de la famille royale…) généreusement invités à assister au mariage sur les pelouses du château de Windsor : vous êtes priés d’apporter votre propre pique-nique, les gars. C’est que tout ça, c’est tout de même beaucoup d’argent. Vous l’aurez compris, c’est avec émotion et le journalisme chevillé au corps que Les Jours se lancent dans la défense d’une cause des plus nobles : la cause du people.
Si les noms de Harry et Meghan ne vous parlent pas plus que ceux de Milford Haven, Sir Basil, Storm et Tyrone (on vous a dit que Storm est le père de Tyrone ?), vous êtes de fieffés menteurs, ou bien vous devriez surveiller de plus près cette vilaine carie car ça signifie que vous n’avez pas visité depuis un an au moins la salle d’attente de votre dentiste où vieillissent les magazines people. Harry, d’abord : 33 ans, prince de son état, fils de Charles et Diana, petit-fils de la reine Elizabeth II, excusez du peu, et futur roi d’Angleterre, du moins, règle de succession oblige, s’il occit sa mémé, son père Charles, son frère aîné William et les trois enfants que celui-ci a eus avec Kate Middleton. Meghan, ensuite : une Américaine. Houla. Et une roturière, par dessus le marché. Pire, une divorcée. Pire encore, une saltimbanque ! Car Meghan Markle, 36 ans, est actrice. Ou du moins l’était (dans la série Suits, notamment) : désormais, son quotidien se passera à inaugurer des trucs et à sourire en pensant à l’Angleterre.
Mais tirons un peu sur les rênes de Milford Haven, Sir Basil, Storm et Tyrone pour faire ralentir notre royal attelage. Et s’arrêter sur les mots « Américaine » et « divorcée », qui ont de quoi faire sonner toutes les cloches de la Saint George’s Chapel en guise de signal d’alarme. Car il y a une autre Américaine divorcée dans l’histoire de la famille royale et c’est un véritable drame national qui remonte à 1936 et à l’oncle de l’actuelle reine, l’éphémère roi Edward VIII. Lequel Edward s’éprit d’une Américaine, donc, divorcée une première fois et sur le point de remettre ça une deuxième : Wallis Simpson. L’intention ferme d’épouser Wallis Simpson déclencha une véritable crise constitutionnelle au terme de laquelle Edward VIII abdiqua au profit de son frère cadet George VI, le père d’Elizabeth qui doit donc à cet oncle volage son trône. Ne laissez pas, lecteurs, vos petits cœurs d’artichaut s’enflammer d’indignation à la lecture de ces amours contrariées, et songez que, par la suite, le roi déchu et son épouse s’en furent, au pas de l’oie, faire des gouzi-gouzi à l’Allemagne nazie et à un certain Adolf Hitler.
Mes corgis sont ma famille.
C’est dire si la reine a dû s’asseoir sur des couches stratifiées de trauma (ou faire preuve d’une indulgence coupable, c’est selon) pour donner son consentement à l’union de son petit-fils Harry et de Meghan Markle. Car oui, si vous, vous ne demandez pas son avis à votre mémé avant de vous marier, eh bien c’est que vous ne faites pas partie des six personnes dans la file d’attente de la succession au trône. Comme Harry est pile le sixième, il n’y a pas coupé. Mais bon, comme, de son propre aveu, Meghan s’est super bien entendue avec les corgis de la reine… Mais si, vous savez, ces animaux disgracieux et malaimables qui firent le bonheur de la reine tout le long de son règne. Depuis son tout premier chien Susan, reçu en cadeau pour ses 18 ans, jusqu’à son dernier descendant Willow, qui est parti au paradis des saucisses sur pattes le mois dernier. Vous rigolez, mais songez qu’Elizabeth II a dit un jour : « Mes corgis sont ma famille. » D’abord c’est un peu triste, et ensuite vous voyez désormais ce mariage d’un autre œil.
D’ailleurs revenons-y, au mariage. Tout ce qu’on sait : la cérémonie (dans la chapelle du château de Windsor d’où sortiront donc les épousés dans le landau d’Ascot), les demoiselles et les damoiseaux d’honneur, au premier rang desquels défileront Charlotte et George, les enfants de Kate et William, le gâteau (au citron bio et fleur de sureau), la bague (un diamant du Botswana – là où nos deux chéris firent leur première virée amoureuse – monté avec deux pierres ayant appartenu à Diana et c’est Harry qui a dessiné le bijou), la réception (nouba, enfin lunch donné par Elizabeth au château de Windsor puis after à Frogmore House, bicoque royale d’à peine dix-huit chambres)… Et pas question de voir Barack Obama, pourtant un pote du prince Harry, faire la chenille : il a été décidé qu’aucun politique ne serait invité au mariage. Résultat, pour se venger, Emmanuel Macron a envoyé un cadeau tout pourri.
Et il y a tout ce qu’on ne sait pas : la robe. Peut-être un chiffon de chez Ralph & Russo, un tailleur australien, enfin, c’est ce que tout le monde dit, 113 000 euros donc payés par Meghan Markle. Le reste du mariage étant à la charge de la famille royale, soit 36,5 millions d’euros, dont 34 millions pour la sécurité, payés par… le contribuable britannique. Voyons, ne faites pas cette tête. On a l’impression que vous ne mesurez pas l’enjeu de ces épousailles-là. Pour vous donner une idée c’est comme si… comme si… Heu, tenez, c’est comme si Marlène Schiappa se mariait avec Christophe Castaner : l’événement people de l’année, minimum.
D’autant qu’au-delà des belles toilettes et des chapeaux qui vont avec, le mariage royal est un cas d’école pour La cause du people avec son bon petit scandale qui va bien. Figurez-vous qu’il y a quelques semaines, des photos sont apparues dans la presse britannique montrant dans un pauvre cybercafé Thomas Markle, le père de Megan, un peu tristoune, absorbé dans la contemplation de photos de sa fille et de Harry. L’œuvre d’un pararazzi, mais voilà : le Mail on Sunday vient de révéler que la paparazzade était bidon, orchestrée avec l’accord du père et moyennant finances (113 000 euros, pile le prix de la robe, radin !). Du coup, histoire d’éviter de mettre la h’chouma à toute la famille royale et à sa fille devant le gratin du gotha mondial et les millions de téléspectateurs attendus, Thomas Markle n’honorera pas la noce de sa présence, plaidant une diplomatique opération du cœur – pour info, c’est Charles qui donnera son bras à la mariée. Si Doria Ragland, la mère de Meghan, sera présente – dreadlocks et piercing inclus –, les demi-frère et sœur n’ont bizarrement toujours pas reçu leur carton d’invitation. Il faut dire que les relations avec la demi-sœur qui passe son temps à traiter Meghan d’« arriviste » sont plus que fraîches, et avec le demi-frère, c’est encore pire. Thomas Markle Junior s’est fendu d’une lettre à Harry – publiée par le magazine people américain In Touch – pour lui dire de renoncer à Meghan : « Vous devez mettre un terme à ce faux conte de fées », Meghan est « une femme insensible, superficielle, prétentieuse qui n’hésitera pas à se moquer de vous ». Non mais ! À l’échafaud !
Victoria, c’est le moment où la monarchie britannique assume un virage médiatique. Il y a le glamour de la jeune reine, il y a ses amoureux, il y a des gens qui essaient de s’introduire dans son palais…
C’est que ce mariage s’inscrit dans une lignée non seulement royale mais people. Harry étant le fruit du « mariage du siècle », celui de Charles et Diana en 1981, union arrangée marketée et usinée comme un conte de fée et qui se termina en capilotade. Comme pas mal de mariages, notez, sauf que son autopsie détaillée fit les (feuilles de) choux gras de la presse people en général et britannique en particulier : les fameux tabloïds. Et puis, bien sûr, la mort de la princesse Diana dans un accident de voiture en 1997, sous le pont de l’Alma, à Paris, alors qu’elle et son nouveau compagnon Dodi Al Fayed étaient coursés par des paparazzis. Pas la peine de passer un diplôme de psy pour comprendre qu’Harry (âgé de 13 ans au moment de la mort de sa mère) ait gardé une légère dent – fut-elle couronnée – contre la profession. D’autant qu’une certaine propension à faire le couillon pendant sa prime jeunesse, qui en uniforme nazi dans une soirée costumée, qui tout nu à Las Vegas pendant une partie de strip-billard, le tout dûment documenté par des paparazzis, n’a rien arrangé. Et lui a valu le surnom de « Dirty Harry ». On vous passe les diverses frasques de la famille royale, de Sarah Ferguson se faisant suçoter les doigts de pieds par son conseiller financier à Kate Middleton seins nus, le tout mis en images au téléobjectif…
Sacrés Windsor, ils nous auront tout fait. Ils sont à eux seuls une histoire du people. C’est bien simple, ils sont le people. Pour Antoine Lilti, historien et auteur d’une somme consacrée à la célébrité, il faut même remonter au XIXe siècle et à Victoria, ci-devant arrière-arrière-grand-mère d’Elizabeth II, qui régna sur ce siècle en même temps que sur l’empire britannique, alors au max de sa puissance. « Victoria, explique Antoine Lilti, c’est le moment où la monarchie britannique assume un virage médiatique. Il y a le glamour de la jeune reine, il y a ses amoureux, il y a des gens qui essaient de s’introduire dans son palais… C’est une trajectoire qui va de l’exercice du pouvoir à la célébrité. Avec l’émergence de la société démocratique, la monarchie doit se trouver un autre type de lien avec le peuple. C’est ce que la poétesse anglaise Elizabeth Barrett Browning appelle la part de “souveraineté vulgaire” de Victoria : la reine doit s’acquitter d’une love-tax envers son peuple. »
La « souveraineté vulgaire » : elle est pas mal, celle-là. Plus d’un siècle après la mort de Victoria, l’expression n’a fait que se confirmer, et on ne vous parle même pas de la rumeur d’un concert des Spice Girls donné à Frogmore House, là-même où gît Vic, dans le mausolée royal… Puisqu’ils ne sont plus finalement que souverains d’eux-mêmes, les Windsor ont dû composer avec la vulgarité : devenir une marque et tenter de faire tourner l’économie britannique.
Une marque produite par « la firme », surnom donné en privé à la famille royale par certains des membres – dont la reine –, qui a le don de dégainer un mariage à point nommé, plop. La firme est donc heureuse de vous présenter, dans le Royaume-Uni post-Brexit, profondément divisé, à la croissance en berne, le mariage du prince orphelin et de la belle Américaine roturière. Une noce supposée doper l’économie à hauteur de 1,15 milliard d’euros en donnant un coup de fouet à la consommation – nourriture, souvenirs… – et surtout au tourisme. Doper aussi le moral des Britanniques plombé par le Brexit : ainsi, selon la société Mintel, spécialiste de l’étude de marchés, le mariage royal rendrait un tiers des sujets de sa majesté « fiers d’être britanniques » et zou, du coup ils achètent un mug Meghan et Harry. Enfin, dans cette vieille Grande-Bretagne qui se replie sur elle-même en sortant de l’Union européenne, voilà un mariage moderne, entre deux nationalités, deux classes sociales. Un mariage mixte aussi, puisque Meghan Markle est métisse, une première dans la famille royale, du moins officiellement. Et on ne compte plus les articles vantant ce coup peinture fraîche sur la royauté, ah oui, parce qu’on allait oublier : les mariages royaux boostent les ventes de presse aussi – jusqu’à 25 % d’augmentation pour les noces de Kate et William.
Un gros mariage comme ça, ça fait vendre, même si ce n’est pas notre cœur de cible.
En France aussi, on espère bien tirer profit du royal filon. « Harry et Meghan, c’est un couple moderne, ils sont beaux tous les deux, ça fait rêver. » C’est une experte qui nous parle : Myriam Palomba Hébuterne, directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Public. Les têtes couronnées n’ont pas forcément pignon sur une chez Voici-Closer-Public, la triplette de tête du people en France. Mais la cata paternelo-marklelienne permet de dramatiser l’affaire. Public et Voici titrent ainsi cette semaine dans un bel ensemble : « Meghan Markle, son mariage avec Harry est déjà gâché ! », et « Meghan Markle, sa famille pourrait tout gâcher », tandis que Closer s’alarme : « Meghan Markle, son père, son enfer ! » C’est qu’« un gros mariage comme ça, explique Myriam Palomba Hébuterne, ça fait vendre, même si ce n’est pas notre cœur de cible ». Ce cœur-là est celui d’une femme de 30 à 40 ans qui, à en croire la directrice de la rédaction de Public, prise plutôt tout ce qui est au cœur de l’actu, couronne ou pas. Et encore : une récente couv de Public sur Jeremstar, machin issu de la cuisse de la téléréalité dont il nous faudra bien vous parler un jour, n’a pas marché : « Ce n’est pas un personnage assez fort, indique Myriam Palomba Hébuterne, il n’est pas considéré comme un vrai people. »
En fait, le mariage royal, c’est plutôt la came de Paris-Match (« Le royaume est en joie », titrait l’hebdo à la naissance de Louis, le dernier Windsor en date), même si cette semaine, le magazine fait le curieux choix d’une une sur Stéphane Bern, tout en consacrant tout de même huit pages aux noces. Seul Point de vue, images du monde fait sa couverture sur Meghan Markle, mais, drame des délais de bouclage, il n’est pas question dans les articles de la défection du père. Pire, pour les même raisons, Gala se retrouve carrément à côté de la plaque en titrant « Meghan Markle, une vraie fille à papa ». Article ainsi sous-titré : « Elle est l’unique trésor de son daddy. Malgré les trains de vie opposés et leur éloignement géographique, ils vibreront à l’unisson le 19 mai. » Bloody hell, si on peut se permettre.
Mais doucement, Milford Haven, tout doux, Sir Basil, calmos Storm et Tyrone, n’emballons pas tout de suite les chevaux de La cause du people. Jeremstar, oui, ça viendra, ainsi que d’autres trompettes de la renommée. Tout comme viendra, c’est certain, une plongée dans la presse people et chez sa papesse Mimi Marchand, qui fait et défait les poupées de papier glacé. On vous le raconte déjà dans In bed with Macron, mais c’est elle qui a fait d’Emmanuel Macron le premier people de France. Et aussi, promis, des immersions dans des soirées de la jet-set, dans l’étrange univers des stars dont chaque cliché sur Instagram mentionne la marque de la robe portée sur la photo… Et puis du ragot (vous saviez que Marc Lavoine et sa femme, c’est fini ?), du potin (et dire qu’on vient tout juste d’apprendre que la compagne du numéro 2 de la SNCF, Mathias Vicherat, est Marie Drucker) voire du scoop, mais chut, on est en planque.