La scène se passe en 2014 dans un recoin de l’Ubu, la salle de concerts tordue adossée au Théâtre national de Bretagne, à Rennes. Il est 1 heure du matin et Joran Le Corre, un organisateur de tournées habitué des lieux, attrape Jean-Louis Brossard, le programmateur des Transmusicales, pour lui coller des écouteurs sur les oreilles. Quatre morceaux plus tard, Jeanne Added rejoint la programmation du festival. Par la suite, Brossard décidera carrément de lui confier la résidence des Trans – une semaine de travail et de concerts nourris et logés offerts chaque année à un artiste ou un groupe. C’est un moment scruté de près mais aussi un défi artistique, où se sont révélés par le passé Philippe Katerine ou Benjamin Clementine auprès du public et des pros. Le public y est assis et attentif ; il vient à la résidence pour attraper un bout d’avenir en construction. La nouvelle vie de Jeanne Added a commencé là.
J’ai très vite compris à quel point c’était un gros truc
, se souvenait la chanteuse il y a quelques semaines dans un café du canal Saint-Martin, à Paris. C’est son quartier depuis longtemps, où elle souffle un peu entre deux concerts d’une tournée à rallonge qui l’a emmenée, avec son premier album solo Be Sensational, de petites en grandes salles, de grandes en petites villes jusqu’en Allemagne et à La Réunion. Dans le fond de ce café, je retrouvais la jeune femme croisée le temps d’une interview à Rennes deux ans plus tôt, après le deuxième concert de sa résidence ; ce regard bleu qui ne fuit jamais sous une chevelure décolorée en mèches libres. À l’époque, Jeanne Added était lessivée de travail, de pression, d’incertitude, et débutait dans la fabrication de son récit de musicienne. Aujourd’hui, elle a des dizaines d’interviews dans les pattes et maîtrise déjà son personnage public.
Lorsque Jeanne Added a débarqué aux Trans fin 2014, son disque n’était pas fini. C’est le festival qui l’a bousculée, qui l’a obligée à accélérer, à transposer ses chansons pour la scène plus tôt que prévu en compagnie de deux musiciennes qu’elle avait choisies mais ne connaissait pas encore vraiment : Narumi Hérisson au clavier et Anne Paceo à la batterie. Après quelques jours de travail préparatoire à Carhaix et une semaine de concerts aux Trans, Jeanne Added est sortie vidée mais changée.