Rocé disparaît souvent. On n’entend alors plus son rap tranchant et ses mots denses pendant quelques années. C’est son rythme ; il n’a pas besoin d’exister s’il n’a rien à dire. En ce moment par exemple, José Kaminsky – son vrai nom –, est entre deux albums et ne se produit pas sur scène. C’est pour cela qu’il est le dernier à entrer dans cette obsession Chant/contrechamp sur Les Jours. Dès le début, il a accepté d’en être mais impossible de le suivre en concert ou en studio. Rocé est dans l’une de ses disparitions.
Mais il est très occupé. En ce moment, il essaie notamment de venir à bout d’un projet qui l’occupe depuis plusieurs années : une compilation de chansons en français venues du monde entier. C’est politique en même temps que poétique
, résumait-il la semaine dernière dans les bureaux de son label Hors Cadres, installés au-dessus de La Maroquinerie, à Paris. Il affichait un grand sourire paisible autant qu’un air toujours très décidé, un bonnet posé au-dessus d’un visage qui traverse les années et les pochettes de disques sans afficher le temps. Regard clair sur taches de rousseur et barbe de quelques jours, corps ramassé : Rocé aura 40 ans l’année prochaine, mais il sera éternellement le grand frère posé du rap français.
Pour cette compilation, ses recherches musicales l’ont emmené en Afrique de l’Ouest ou dans la Martinique d’Eugène Mona… En ce moment, il cherche du côté du Maghreb. À chaque fois, il s’agit de dénicher du texte avec un fond groove
, pour montrer que Brel et Brassens n’étaient pas les seuls à bien manier le français à leur époque, mais aussi pour questionner la place de cette langue chez des musiciens venus de territoires kidnappés par Paris.
Les questions de langue et d’identité sont absolument centrales chez Rocé. Il est né à Bab El Oued, quartier ouest d’Alger. Sa mère est algérienne, son père un Juif argentin arrivé en France à 7 ans et devenu un personnage fascinant, qui a traversé la Seconde Guerre mondiale dans la Résistance comme faussaire avant de mettre ses talents jusque dans les années 70 au service des guerres d’indépendance qui ont occupé la guerre froide.

Rocé racontait ce parcours en 2006 dans Je chante la France :
« Mon père a combattu Vichy et collaboration
Expert en faux papiers, sauve les victimes de trahison
Agir et résister quand la patrie perd la raison
Il offre l’humanité sans prendre l’accord du Président
La clandestinité, à cause de ses appartenances
De ces combats menés, pour mettre justice dans la balance
La jeunesse, la santé, sont cloîtrées dans la résistance
Pas français pas d’récompenses, pas d’problèmes, il sauve la France. »