Moins d’un mois plus tôt, le 4 août 2020, deux fortes explosions sur le port ont secoué Beyrouth. Le souffle, ressenti à des dizaines de kilomètres de la capitale libanaise, a emporté des dizaines de milliers d’appartements, tuant plus de 200 personnes, en blessant 7 000 autres. L’événement conduit Rodolphe Saadé à revenir dans la ville qui l’a vu naître, il y a tout juste un demi-siècle. En ce 1er septembre 2020, il assiste au déchargement de l’Aknoul, un navire de la CMA CGM, affrété spécialement pour apporter une aide humanitaire d’urgence aux Libanais : ambulances, groupes électrogènes, matériel médical et d’hygiène, produits alimentaires… Il n’est pas venu seul. Sa sœur, Tanya Saadé Zeenny, qui préside la fondation d’entreprise du groupe familial, se tient à ses côtés. Mais surtout, l’opération humanitaire est inscrite au menu de la visite officielle d’Emmanuel Macron au Liban. Le président de la République assiste lui aussi au débarquement des conteneurs et pose, pour la photo, avec les deux membres de la famille Saadé. Les liens sont noués. Un an plus tard, presque jour pour jour, le chef de l’État est en visite au siège du groupe à Marseille, et ne tarit pas d’éloges sur une « magnifique entreprise », « un groupe exemplaire à tous égards », qui « rend le pays plus fort ».
Le fils a bien appris la leçon du père. Le Liban et les réseaux politiques font partie intégrante de l’héritage de Jacques Saadé, le fondateur de la Compagnie maritime d’affrètement (CMA), créée en 1978 à Marseille. Né dans une importante famille de commerçants libanais, il a étudié à la London School of Economics, puis a repris les affaires familiales implantées en Syrie, qui ne survivront pas aux nationalisations du régime baasiste d’Hafez Al-Assad. Jacques Saadé repart de zéro. Lors d’un stage à New York, il découvre les conteneurs et en devine le haut potentiel de croissance. Cap donc sur le secteur maritime. « Dans un premier temps, la CMA s’est rodée en Méditerranée. Puis est venue l’aventure chinoise, dès le milieu des années 1980. De ce point de vue, Jacques Saadé a été précurseur. En une dizaine d’années, la CMA va devenir la première compagnie sur le segment Méditerranée-Asie », explique Jean-Marie Miossec, professeur de géographie émérite à l’université Paul-Valéry de Montpellier et auteur d’une somme sur l’entreprise.