Nous voilà, vous voilà désormais confinés sur Les Jours. En l’espace de deux semaines, le coronavirus ou Covid-19, selon le doux nom que vous souhaiterez lui donner, a contaminé toutes les conversations, chaque instant de la vie quotidienne, le moindre geste, ce moment un peu gênant où, alors qu’on va embrasser une joue ou serrer une main, on se ravise soudain, ce moment tout aussi gênant où l’on chante deux fois Joyeux anniversaire pour atteindre la durée optimale de lavage de paluches. Même qu’un président de la République a dû rappeler que oui, il faut se laver les mains, faisant lui-même le geste à l’écran. C’était ce jeudi soir à 20 heures : Emmanuel Macron a pris la parole pour décrire « cette épidémie qui affecte tous les continents et frappe tous les pays européens ». Rien moins que « la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle ».
Il a suffi, ainsi que l’expliquaient Les Jours dans un épisode de La fin du monde (on ne rit pas), d’un battement d’aile de chauve-souris en Chine, d’un animal ressemblant furieusement à un artichaut, le pangolin, et d’un amateur de la chair de cette bestiole sur un marché de Wuhan pour en arriver quatre mois plus tard aux annonces d’Emmanuel Macron. Entre-temps et à l’heure où nous écrivons, 4 700 personnes sont mortes, plus de 130 000 sont contaminées, aucune zone de la planète n’y échappe. En France, 2 876 cas étaient recensés ce jeudi, 600 de plus que la veille, pour 61 décès. Moins que demain, bien moins qu’après-demain. Si Donald Trump a décidé de fermer les États-Unis à ces crétins d’Européens infoutus de venir à bout de ce virus, si l’Italie, rudement touchée avec plus de 1 000 morts, en est à se claquemurer, ne laissant ouverts que les commerces alimentaires et les pharmacies, Emmanuel Macron, lui, pour la France, a commencé par décider de fermer les écoles.
Dès ce lundi, de la crèche à l’université, ce sont à la grosse louche 14 millions d’individus qui sont retirés de la tentation coronavirale et ce, « jusqu’à nouvel ordre ». Avec les vacances de printemps le 4 avril pour la première zone concernée, ce sera un gros mois
Il s’agit, a expliqué Emmanuel Macron, de « freiner l’épidémie pour protéger les hôpitaux », de « continuer à gagner du temps ». C’est la concrétisation de cette courbe que le ministre de la Santé Olivier Véran dessine de plateau télé en plateau télé avec son joli stylo : étaler le plus possible les contaminations pour éviter le débordement des hôpitaux. D’ailleurs, a précisé Macron, « les soins non essentiels sont reportés » et il y aura « mobilisation des étudiants et des jeunes retraités » de la médecine. Mobilisation également des chercheurs au niveau français et européen afin de trouver « l’antidote au Covid-19 ». « La santé n’a pas de prix », a énoncé le président de la République, l’œil vissé dans la caméra, se disant prêt à allonger la monnaie, « quoi qu’il en coûte ». Trois fois, il l’a répété, « quoi qu’il en coûte ».
Dans le même esprit, les personnes de plus de 70 ans, qui semblent les plus vulnérables au coronavirus, doivent désormais « rester autant que possible à leur domicile », a annoncé Emmanuel Macron, même si elles « pourront, bien sûr, sortir de chez elles pour faire leurs courses, pour s’aérer ». Mais pas trop pour aller en manif contre la réforme des retraites, a-t-on conclu aux propos du président de la République qui a promis « des mesures pour limiter au maximum les rassemblements ». Entre des jeunes à la maison et des vieux confinés et qu’il est déconseillé de visiter (Mamie, coupe la caméra du téléphone, je vois ton oreille !), il y a les salariés. C’est l’autre grand volet des décisions présidentielles : télétravail au maximum. Avec des promesses aux entreprises pour « faire en sorte que les salariés puissent rester dans l’entreprise, même s’ils sont obligés de rester à la maison, et que nous les payions ». Cotisations et impôts pour mars sont reportés. Voilà le deuxième « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron : « Protéger nos salariés et protéger nos entreprises, quoi qu’il en coûte. » Le troisième sera pour l’économie, que le krach boursier survenu ce jeudi pourrait mettre à plat : « Nous, Européens, ne laisserons pas une crise financière et économique se propager. (…) L’ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien de l’activité puis de relance, quoi qu’il en coûte. » Comprendre : voilà qu’un pangolin frelaté pourrait avoir raison du dogme sur les 3 % du produit intérieur brut de déficit public.
J’ai interrogé les scientifiques, ils considèrent que rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes.
En revanche, contrairement aux rumeurs qui ont couru dans la journée de jeudi, les élections municipales, dont le premier tour a lieu ce dimanche, ne sont pas reportées. « J’ai interrogé les scientifiques, a dit Emmanuel Macron, ils considèrent que rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes. Mais il conviendra de veiller au respect strict des gestes barrières contre le virus et des recommandations sanitaires. » Les bureaux de vote seront donc dotés, c’est promis, de gel hydroalcoolique, de marquage au sol afin de respecter ses distances et on est prié d’apporter son stylo bille bleu ou noir, merci.
Quant aux mystérieuses, et légèrement inquiétantes, « décisions de rupture » promises pour les « prochaines semaines et les prochains mois » par le chef de l’État en fin de discours, il les « assumera ». En attendant, si contrairement à son ministre de la Culture Franck Riester ou à une dizaine de députés Emmanuel Macron n’est pas (encore) touché par le coronavirus, le voilà frappé par la grâce. Vous savez, ces soignants et personnels hospitaliers qui sont en grève depuis des mois pour réclamer plus de moyens, plus de considération, en vain ? Eh bien la fièvre du Covid-19 les métamorphose dans la bouche du Président en « héros en blouse blanche », en « milliers de femmes et d’hommes admirables qui n’ont d’autre boussole que le soin, d’autre préoccupation que l’humain, notre bien-être, notre vie, tout simplement ». Un Emmanuel Macron découvrant que « la santé gratuite, notre État providence, ne sont pas des coûts mais des biens précieux » ? Comme quoi, ce coronavirus ne sème pas que la désolation.