Un coup d’œil à gauche, un autre à droite : personne. En ce début d’après-midi dans les jardins du Trocadéro, dans le XVIe arrondissement de Paris, il n’y a pas un chat. Pas étonnant en ces temps de confinement, mais on est jamais trop prudent. Et Grégoire Loïs, directeur adjoint du programme de sciences participatives Vigie-Nature au Muséum national d’histoire naturelle, n’aimerait pas qu’on lui pique le détecteur à chauves-souris qu’il vient de placer dans l’anfractuosité d’un rocher d’ornement. L’engin, qui comprend une carte mémoire, un port USB, un micro et trois piles est planqué dans une boîte en ferraille volontairement cabossée qui a jadis contenu du café moulu. L’opération, dans une capitale déserte, n’est pas si éloignée d’une mission du Bureau des légendes, version naturaliste.
Ce soir-là, à 20 h 30, l’appareil se mettra automatiquement en marche et captera jusqu’à 3 heures du matin toutes les émissions ultrasonores du secteur. Récupéré le lendemain matin, sa carte déchargée, ses données transférées sur un portail dédié et triées par des technologies utilisant de l’intelligence artificielle, il dira combien d’espèces de chauves-souris se sont égayées pendant la nuit au « Troca ». Alors, maintenant que les humains sont bouclés à double tour depuis plus de sept semaines, est-ce la fête pour Dracula ? Que dalle. « Les chauve-souris sont indifférentes à nos activités et on a beau être confinés, on n’éteint pas encore les lumières : or c’est ça, le facteur déterminant », explique Grégoire Loïs, qui a déjà collecté plusieurs enregistrements. L’un de ses collègues du Muséum, spécialiste desdites bêtes, a bien reçu un appel d’une dame qui tenait absolument à lui signaler la présence d’un spécimen voletant dans la cour de son immeuble. « Mais des chauves-souris dans Paris, il y en a toujours eu, il y a même un gîte d’hibernation qui a compté jusqu’à 1 500 individus, ça n’a donc rien d’exceptionnel, explique Grégoire Loïs. Ce qui est exceptionnel, c’est le changement de notre regard dans cette période de confinement : la dame voit pour la première fois une chauve-souris, elle trouve cela spectaculaire. »
L’animal n’est pas en odeur de sainteté. Certains membres de sa vaste famille de mammifères figurent, avec le pangolin, parmi les suspects pour la transmission initiale du Covid-19 à l’homme, au mois de décembre, sur un marché de Wuhan en Chine (lire l’épisode 4 de La fin du monde saison 2). Sans preuve pour le moment.