«Salut Damien, je m’appelle Cory Le Guen. Je suis blanc, breton, catholique et aussi journaliste. Et je voulais démontrer […] que tu te fous bien de notre gueule. » L’homme qui lâche ça face à la caméra vient de se filmer en train de simuler une prière islamique dans une salle du tribunal judiciaire de Paris. Le 10 janvier 2023 au soir, il poste la vidéo sur Twitter. Plus tôt, il a pris soin d’extraire de la séquence une photo de lui, le visage dissimulé et agenouillé en ce même lieu et l’a envoyée à Damien Rieu, héraut de l’agitprop d’extrême droite. Cet obsédé du « grand remplacement » raffole de ces clichés de supposés musulmans priant dans des lieux publics. Objectif de Cory Le Guen : prouver que le militant identitaire publie de fausses informations.
Rieu s’empresse de partager l’image à ses 180 000 abonnés avant de la supprimer en catastrophe. Trop tard, Cory Le Guen l’a piégé. En quelques heures, le canular engrange des millions de vues sur Twitter et Cory Le Guen, 10 000 abonnés de plus. La machine à buzz s’emballe quand Cyril Hanouna invite ce journaliste indépendant dans son émission du lendemain. Sur le plateau de C8, le sujet dérive vite sur son passé judiciaire, exhumé par une fachosphère chauffée à blanc par l’affront : le trentenaire inconnu au bataillon a été incarcéré à Fleury-Mérogis pour escroquerie et usurpation d’identité, condamné en 2021. Et il n’a pas commis n’importe quelle arnaque : il s’est fait passer pour le neveu de Brigitte Macron afin de bénéficier de différents avantages. Le retour de bâton est immédiat et de journaliste chasseur de fachos, Cory Le Guen retrouve son étiquette d’escroc.
Ce jeudi-là, aux Jours, où la vie est plus tranquille mais pas moins passionnante, le groupe WhatsApp « Dans les prisons de France », du nom de notre série éponyme, carillonne à chaque soubresaut de cette histoire twitteresque que nous surveillons d’un œil alerte. Il faut dire qu’on connaît bien Cory Le Guen. Le 5 octobre 2022, il a accompagné en tant que photographe votre serviteur lors d’une visite parlementaire à la maison d’arrêt de Nanterre avec la députée (LFI) Ségolène Amiot (lire l’épisode 4 de Dans les prisons de France). Dans ces déplacements régis par la loi, les moyens d’enregistrement sont limités et, en l’espèce, déjà réservés à Ouest-France ainsi qu’à un certain Cory Le Guen, que l’entourage de l’élue nous présente comme un très compétent journaliste indépendant. C’est surtout notre seul moyen d’avoir des images de la visite.