Les terrasses qui rouvrent, la possibilité de se faire une toile, le plaisir d’inviter des amis pour un apéro qui dure jusqu’à 21 heures… Après presque sept mois de restrictions en tout genre, ce 19 mai marque un retour à la vie presque normale d’avant le Covid. On a bien dit « presque » : il reste un couvre-feu (désormais à 21 heures, donc), ce masque à porter et plein de jauges byzantines à devoir observer dans la vie de tous les jours. Mais comment réagir ? Crier « youpi ! » et, sans complexe, dire adieu à notre vie plus ou moins recluse de ces sept derniers mois ? Ou bien s’inquiéter de voir le pays s’ouvrir trop tôt alors que l’épidémie est loin d’avoir disparu ? On vous l’avoue, on est partagés. Pour s’en sortir, on a décidé de faire dialoguer les deux parties de notre cerveau : celle qui est optimiste (et aussi un peu légitimiste vis-à-vis du gouvernement) et celle qui est pessimiste (et qui aime bien se plaindre). Et vous, dans quel camp vous rangez-vous ?
L’optimiste : « Il faut se relâcher ! Regardons les courbes du taux d’incidence, des hospitalisations ou des admissions en soins critiques : elles s’affichent toutes en nette diminution depuis un mois. Le nombre de cas quotidiens est ainsi passé, en moyenne, de 42 000
— La pessimiste : Mais c’est une plaisanterie de citer Attal ! Que veut dire “au même moment au mois de novembre dernier” ? C’est comme s’il nous demandait quel âge avait Rimbaud… Et si on veut jouer au jeu des comparaisons entre les trois périodes post-confinement (mai 2020, décembre 2020 et printemps 2021), la baisse actuelle est loin d’arriver à la première place. C’est ce qu’a calculé Le Parisien. En novembre, après un pic à 500, le taux d’incidence (soit le nombre de cas pour 100 000 sur une semaine) s’est effondré de moitié en trois semaines (pour atteindre 250). Aujourd’hui, sur la même durée de trois semaines, le taux est passé de 420 à 280. Soit une diminution de 33 %. Qui oserait dire que c’est mieux ? Et si on regarde l’indicateur du nombre quotidien d’admissions en soins critiques, la décrue actuelle est beaucoup moins importante qu’il y a un an. Au printemps 2020, le pic le plus haut avait été observé à 690 admissions par jour. Vingt-six jours plus tard, le chiffre n’était plus que de 132. Au printemps 2021, on est passé dans le même laps de temps de 495 à 280.

— L’optimiste : Peut-être que, sur le coup, Attal a été trop présomptueux, mais il a eu raison quand, lundi, il a déclaré que “tous les signaux sont au vert” et que “le président de la République a eu raison” de maintenir le calendrier de déconfinement alors que “les prophètes de malheur” prévoyaient le pire. Il y a peu, certains épidémiologistes jouaient effectivement les Cassandre, disant que la réouverture des écoles allait faire repartir l’épidémie. Par exemple, la chercheuse de l’Inserm Dominique Costagliola estimait le 19 avril que, pour voir une baisse des contaminations en mai, il fallait absolument “prendre des mesures qui permettent de limiter le risque” dans les établissements scolaires, comme “la vaccination des personnels” ou les “mesures d’aération”, “choses qui n’ont toujours pas été faites”. Mais finalement, la rentrée des classes a eu lieu avec un protocole sanitaire quasiment inchangé, et cela n’a pas freiné la chute du taux d’incidence. Quand on boira un café en terrasse, on dira merci à notre Président, pas à cette épidémiologiste !
— La pessimiste : Qui ne sera pas content de se retrouver à une terrasse ? De toute façon, ce n’est pas là que se situe le danger. Toutes les études le montrent : se contaminer en extérieur est très rare. Petite parenthèse : c’est rare sauf si, comme le préconise le ministère de l’Économie dans le protocole sanitaire destiné aux bars, on se met à construire des parois en plexiglas ou des paravents entre les tables des cafés pour éviter les “projections”. Les experts en mécanique des fluides le décrivent bien : on risque alors de piéger les aérosols au lieu de pouvoir bénéficier des courants d’air qui dispersent naturellement l’air expiré (et donc les potentielles particules de Covid).
Mais revenons à cette déclaration d’Attal sur les indicateurs qui sont “au vert”. C’est typique de la manière irresponsable dont le gouvernement aborde l’épidémie. Emmanuel Macron a décidé que le seuil d’alarme serait dorénavant un taux d’incidence supérieur à 400. Un département qui verrait le virus circuler au-delà de ce nombre ne pourrait pas suivre le calendrier de déconfinement prévu. Mais ce taux n’a pas de justification scientifique. Le niveau d’alarme est ainsi beaucoup moins élevé ailleurs (en Allemagne, il est de 100) et lors du confinement de novembre 2020, le gouvernement considérait que, pour “contrôler l’épidémie”, il ne fallait pas dépasser les 5 000 cas par jour. Un objectif oublié aujourd’hui. Du coup, c’est facile de dire qu’on est dans le vert : on a simplement changé le code couleur !
La suite du scénario est malheureusement très facile à prévoir. Les Français vont se sentir en sécurité et abandonner les gestes barrières, comme l’été dernier. Souvenons-nous de l’interview du Président le 14 juillet 2020 : on avait l’impression que l’épidémie ne pouvait pas rebondir car “nous” étions “prêts” et contrôlions “la circulation du virus”. Ce discours optimiste a sûrement participé à la démobilisation de la population durant l’été et préparé les conditions de surgissement de la deuxième vague.

— L’optimiste : Comparer l’été à venir à celui de l’année dernière est de mauvaise foi. Aujourd’hui, nous bénéficions des vaccins et cela change tout ! 20 millions de Français ont reçu une première dose au 15 mai. C’était l’objectif du gouvernement, il a été atteint. In extremis, certes, mais comme quoi, Macron sait tenir ses engagements. Et le prochain objectif
— La pessimiste : Le gouvernement saurait tenir ses engagements ? Mais de quels engagements parle-t-on ? De celui de Gabriel Attal qui, en décembre, nous promettait “15 millions de vaccinés d’ici le printemps” ? Ou des annonces d’Olivier Véran qui, le 21 janvier, s’était légèrement enflammé en parlant de “9 millions” de vaccinés “au mois de mars”, “20 millions à la fin d’avril, 30 millions à la fin mai” et “43 millions à la fin du mois de juin” ? Même la Direction générale de la santé tablait en février sur un calendrier de livraison qui apparaît a posteriori très optimiste. 37 millions de doses étaient attendues pour la fin avril, dont quatre venant du laboratoire Curevac. À cette date, seulement 28,4 millions sont réellement arrivées sur le territoire et le vaccin de Curevac n’est toujours pas autorisé ! Comment, dans ces conditions, prendre au sérieux les prédictions actuelles ?
— L’optimiste : En février, le gouvernement n’avait pas de visibilité sur le calendrier d’autorisation de Curevac. Il s’est aussi trompé sur les livraisons d’AstraZeneca, mais il n’est pas le seul. La firme anglo-suédoise a trompé toute l’Europe et la Commission a décidé fin avril de lancer une action en justice contre elle pour se faire indemniser de ces retards. Les autorités françaises ne pouvaient pas non plus anticiper les thromboses liées à ce produit et qui ont causé la mort de plusieurs patients.

— La pessimiste : Mais justement, parlons-en de la manière dont le gouvernement a géré cette question des thromboses et de l’AstraZeneca. Dans un premier temps, ce vaccin était interdit aux plus de 65 ans (parce qu’il n’avait pas été testé sur cette catégorie de la population). Quelques semaines plus tard, il a été suspendu parce que des personnes ont développé ces fameux caillots sanguins, puis de nouveau autorisé, mais réservé aux plus de 55 ans. Résultat ? Plus personne n’y comprend rien et tout le monde fait la fine bouche devant l’AstraZeneca, préférant de loin le Pfizer. Comme l’a reconnu le Premier ministre Jean Castex le 11 mai dernier, on a ainsi deux millions de doses de vaccins de la firme anglo-suédoise qu’on “n’arrive pas à écouler”. Un tel scénario était pourtant évitable. Au Royaume-Uni, on s’est massivement vaccinés à coup de ce produit (28 millions de doses ont été utilisées) et cela n’a posé de problème à personne !
— L’optimiste : C’est aller un peu loin que de se moquer de la prudence du gouvernement français. Au Royaume-Uni, début mai, on avait relevé 51 morts et 262 cas de thromboses en lien avec la vaccination. Depuis, l’AstraZeneca n’est plus administré aux moins de 40 ans. Comme quoi, il n’y a pas que nous à être prudents ! Le Danemark a d’ailleurs totalement interdit le produit. Mais peu importe les aléas passés de la campagne vaccinale. La France vaccine aujourd’hui 450 000 personnes quotidiennement (selon le bilan fait par VaccinTracker), un nombre suffisamment important pour peser sur le devenir de l’épidémie. C’est ce que pensent les experts de l’Institut Pasteur. Dans leur scénario de référence pour l’été 2021, ils estiment que si le variant britannique est 60 % plus transmissible que le virus historique, il y a un fort risque de voir repartir les hospitalisations à la hausse. Sauf, ajoutent-ils, si on arrive à atteindre un taux de vaccination de 500 000 doses par jour. Alors, on “pourrait réduire de façon substantielle l’intensité de la reprise”.
— La pessimiste : Oui, mais on n’y est pas, à 500 000. Il faudrait donc accélérer cette campagne. Comment ? Par exemple en étant imaginatifs et en faisant comme les Allemands. Outre-Rhin, pour ne pas se retrouver avec des stocks d’AstraZenaca, on autorise tous les adultes, quel que soit leur âge, à se faire vacciner avec (et même avec un intervalle entre deux injections de quatre semaines seulement, pour douze semaines recommandées en France). Résultat, des opérations « AstraZeneca für alle » (AstraZeneca pour tous) qui, comme le montre ce reportage d’Euronews, attirent des jeunes adultes qui n’ont pas peur des risques de thrombose. Mais en France, ce n’est pas possible : on est traités comme des enfants par les autorités sanitaires !
— L’optimiste : Le gouvernement français est certes précautionneux, mais il n’est pas dogmatique. Par exemple, Macron s’était fixé comme objectif d’ouvrir à tous la vaccination le 15 juin. Mais pour garder le rythme de la campagne, le ministère de la Santé envisage d’avancer le calendrier. L’enjeu est clair, bien expliqué par le Conseil scientifique dans son dernier avis : nous sommes actuellement dans “une course de vitesse entre vaccins et variants”. Et il n’y a pas de raison qu’on ne la gagne pas, cette épreuve !

— La pessimiste : Selon le Conseil scientifique, pour “atteindre un niveau significatif d’immunité vaccinale en population”, il faudrait arriver à 35 millions de personnes vaccinées au 30 juin. On pourra crier victoire seulement à cette date. À moins qu’un nouvel élément vienne dérégler ce beau scénario : comme un variant encore plus contagieux et qui résiste à la vaccination… Et justement, qui est en train de causer une catastrophe sanitaire en Inde et commence à inquiéter la Grande-Bretagne ? Le B.1.617, appelé plus communément variant indien ! Cette mutation a l’air beaucoup plus contagieuse que le variant britannique (qui l’était déjà beaucoup plus que la souche historique) et est en train de se développer très fortement outre-Manche : 86 clusters ont ainsi été identifiés dans un pays dont la couverture vaccinale est pourtant l’une des plus importantes au monde (55 % de la population a reçu une dose). Les autorités sanitaires du pays s’attendent maintenant à ce que ce variant devienne à son tour dominant et réfléchissent à retarder le calendrier de déconfinement (comme le retour des événements à grande échelle, prévu le 21 juin).
— L’optimiste : Il ne faut pas alarmer tout le monde avec le variant indien. Selon les premières études menées (par la NYU Grossman School of Medicine et le NYU Langone Center), les vaccins à ARN messager (ceux de Pfizer et Moderna) seraient efficaces contre ce type de mutation. D’ailleurs, les Britanniques ont quand même maintenu lundi la réouverture des cinémas et des restaurants. La preuve qu’ils ne sont pas si inquiets…
— La pessimiste : L’étude dont il est question a été faite en laboratoire, et pas sur des humains. Et l’un de ses auteurs a dit à l’AFP que “les anticorps du vaccin étaient plus faibles contre le variant”. C’est cohérent avec le constat (à consulter ici, en pdf) fait par le Conseil scientifique à propos d’autres mutations du virus. Il est ainsi établi que les vaccins à ARN messager ont une “efficacité conservée mais diminuée” vis-à-vis du variant brésilien. Bref, tant que le virus circule dans le monde, il est très probable que d’autres mutations émergent, plus résistantes, et se retrouvent un jour à circuler dans notre pays.
— L’optimiste : Effectivement, un jour, peut-être, un tel variant émergera. Et puis aussi, on va tous mourir un jour, du Covid ou d’autres choses. Alors en attendant, profitons d’une bière en terrasse et oublions un instant toutes ces maudites courbes !
— La pessimiste : Oui, enfin… et le temps alors ? Une bonne bière sous la pluie quand il fait 15°C, peut-on vraiment appeler ça un déconfinement ? »