La scène se déroule gare de Lyon à Paris, un jour de 1998. Au bout du quai où doit arriver le train en provenance de Marseille, une mère, l’un de ses fils et sa fille. La famille est arrivée très en avance. Marie-Louise, Pierre et Brigitte, dite « Bribri », attendent fébrilement. Le train parti des Bouches-du-Rhône arrive enfin. La famille Dejardin scrute les visages de tous les voyageurs qui avancent vers la sortie. Le quai est bientôt vide. Celui qu’ils n’ont pas vu depuis près d’un quart de siècle ne s’est pas montré. Denis, ce fils, ce frère qui, un jour de 1975 , a brusquement disparu des écrans radar de sa famille (lire l’épisode 1, « Disparus sans laisser de traces »), est toujours introuvable. « On se demande si on s’est trompé d’heure, s’il a reculé, on ne sait pas… On allait rebrousser chemin quand on a entendu une annonce dans le haut-parleur : “La famille Dejardin est attendue au point rencontre.” Mon frère était là. Il a dit qu’il ne nous avait pas vus. On était trois, je n’y crois pas. Je me demande s’il n’avait pas pris un train avant pour pouvoir nous observer », se souvient Pierre, 70 ans.
2024. Attablé devant un café près de la gare de l’Est à Paris, bien enveloppé dans une parka, il revoit la scène. S’efforce de mettre de l’ordre dans ses souvenirs. Consulte son antisèche avec des dates qu’il a soigneusement consignées au stylo. « C’est loin tout ça. Mais c’est ça, quand on a retrouvé Denis, il avait 44 ans », calcule-t-il en passant ses mains sur son jeans, le cerveau bien au chaud sous une casquette. « Mon frère a disparu du jour au lendemain à l’âge de 21 ans. » Pourquoi est-il parti ? Pourquoi n’a-t-il pas fait signe pendant tant d’années ? La question taraude toujours l’ex-RH à la retraite. En quête de sens, il s’efforce de redérouler la vie de la famille Dejardin quand tous habitaient encore dans le XIXe arrondissement parisien.
On avait une mère qui nous montrait de l’affection, mais pas de père. Je n’en ai pas plus souffert que ça. Mais cela a sans doute été plus dur pour Denis.
Il commence par les présentations. D’abord, il y a la mère. Marie-Louise.