Cédric Baccéi raconte sa dernière mission chez SFR. Il opte pour une description clinique, comme pour s’extraire de la scène. Il dit en détachant chaque mot : « J’ai fait une près’ [une présentation, ndlr] destinée à expliquer à mes collègues comment ils allaient être remplacés par des ordinateurs. » Il conclut d’un « voilà ». Cédric se souvient s’être appliqué à faire ce travail. Son chef lui avait demandé « un truc qui claque ». Il a donc fait « une belle animation vidéo ». Il se souvient surtout du moment où son directeur a présenté ce clip devant un parterre de collègues au siège social de SFR à Saint-Denis, en proche banlieue parisienne. Il y avait « une musique rythmée ». Et soudain, son récit se fait moins clinique. Il raconte « la honte ». « Je n’avais qu’une peur, c’est qu’il cite mon nom. C’est ce qu’il a fait. » « Une horreur. » Quelques semaines plus tard, Cédric a quitté SFR en prenant le plan de départs volontaires. Il avait « dix-huit ans de boîte ». Son poste de chef de projet était supprimé, il le savait depuis des mois. Comme ceux dont il avait mis en scène la suppression pour sa « prés’ ». Comme un tiers des emplois chez SFR cette année-là.
La gorge de Cédric est aujourd’hui dénouée. Il se dit que « tout ça », avec le recul, « s’est transformé en opportunité ». Il s’invente une nouvelle vie professionnelle. À 43 ans, marié, père de deux enfants, Cédric est au chômage mais il « monte [sa] boîte ». Ce qui est le cas de très nombreux ex-collaborateurs de SFR partis avec « le plan » (lire l’épisode 20, « “Douze ans d’une vie qui s’arrêtent comme un couperet” »). L’État laisse en effet ces grandes entreprises procéder à leurs méga-plans de suppressions d’emplois « volontaires » à quelques conditions, et notamment celle de ne pas laisser – officiellement – les gens sur le carreau. Pour pouvoir voir son départ de SFR validé, il fallait donc soit avoir un CDI, soit être en formation, soit avoir un solide projet de création d’entreprise. Cette dernière porte de sortie a connu un incroyable succès dans le cas SFR, car elle était accompagnée d’aides financières très incitatives, en plus des indemnités de départs, pouvant aller jusqu’à 25 000 euros. Par ailleurs, le cabinet de reclassement qui gérait ces départs a visiblement su jeter un voile pudique sur la fragilité de nombreux projets (mais nous y reviendrons dans un prochain épisode).

Cédric, lui, est à la fois déterminé, méthodique et prend son temps pour développer son projet et se reconstruire, très loin des télécoms et du management de Patrick Drahi.