Contrairement à la plupart de ses collègues pilotes, Hernando Murcia n’hésite pas à emprunter des itinéraires de vol risqués. Il travaille pour Avianline Charters, l’une des compagnies de taxis aériens qui transportent des passagers à travers la région amazonienne de la Colombie, une vaste étendue de forêt tropicale vierge d’une superficie équivalente à celle de la Californie. C’est une forêt dense, sombre et souvent traîtresse. On n’y trouve pas de routes, encore moins d’aéroports commerciaux. Elle est traversée par des ríos aux courants forts qui grouillent de prédateurs, notamment des piranhas et des anacondas, et des jaguars rôdent sur les rives.
Les groupes rebelles armés et les trafiquants de drogue sont connus pour se cacher dans la région, mais autrement, sa densité de population est très faible. La plupart des gens qui se disent chez eux en Amazonie font partie de tribus indigènes, et lorsqu’ils ont besoin de rejoindre le monde extérieur, ils passent par des charters privés.
Prendre place à bord de ces vols, c’est souvent risquer sa vie. Les pistes d’atterrissage utilisées par Avianline et d’autres compagnies ne sont jamais que des clairières de fortune à base de terre et de gravier au milieu d’une végétation touffue ; la plupart des sites ne répondent pas aux standards de sécurité de l’Aerocivil, l’Autorité de l’aviation civile de la Colombie. Les orages, les pluies diluviennes et les vents forts sont monnaie courante. Comme la Colombie ne fixe pas d’âge limite pour voler, la plupart des petits avions à hélice qui empruntent les voies aériennes de l’Amazonie sont si anciens qu’ils ne disposent pas de pilotage automatique ni des autres fonctionnalités de sécurité modernes. Les pilotes doivent rester constamment à l’affût des odeurs et des bruits suspects. Pour naviguer, ils doivent se fier à leur instinct, forgé par l’expérience. Au-dessus de la forêt tropicale, les cieux sont parsemés de zones où les ondes radio ne passent pas, ce qui fait que les pilotes doivent parcourir de longues distances sans le moindre contact avec le sol.
Rien de tout cela ne pose problème à Hernando Murcia. Âgé de 55 ans, il pilote de petits avions en Colombie depuis plus de trente ans, et il travaille pour Avianline depuis 2021. Il est disposé à effectuer des vols sous des pluies torrentielles, quand bien même elles ont la capacité de faire s’écraser un avion à hélice en un rien de temps.