Le casier judiciaire de Kévin H., 20 ans, est vide. Aussi vide que ses yeux marron quand la présidente du tribunal correctionnel de Lille lui demande s’il conteste les faits. « C’est-à-dire ? », répète-t-il avec son visage poupin, joues roses et front bas, chaque fois que le sens d’une expression lui échappe. On ne va pas se mentir, Kévin a l’air un peu babache. En fait, il est bipolaire et touche l’allocation adulte handicapé. Il comparaît ce lundi pour apologie du terrorisme, consultation habituelle de sites jihadistes et menaces de mort. Le 23 août, il a dit « je vais t’égorger » à Nathalie, la cuisinière du foyer d’insertion où il vit depuis trois ans, à Tourcoing. Ce n’était pas la première fois, ont rapporté les éducateurs, que le jeune homme lançait ce genre de promesses. Après le 13 Novembre, il lui est aussi arrivé de crier « Vive Daesh ! » ou « Allah Akbar » dans les parties communes, de menacer de « tout faire péter ». Les attentats, à Charlie Hebdo comme au Bataclan, Kévin disait que c’était « bien fait ». Lorsque les enquêteurs ont fouillé son téléphone et l’ordinateur qu’il utilisait chez sa mère, ils y ont trouvé des vidéos de décapitations perpétrées par l’État islamique, d’autres sur les techniques de combat de l’organisation, ainsi que « de la musique » qui, sans être détaillée à l’audience, semble être des anashid postés sur YouTube.
Le foyer a donné l’alerte après les menaces contre la cuisinière. Le 29 août, dès sa sortie de sa garde à vue, Kévin acceptait d’être jugé en comparution immédiate. Contrairement aux « vrais » crimes et délits terroristes, centralisés à Paris, l’apologie est presque toujours jugée dans la région où les faits ont été commis. Depuis la loi Cazeneuve du 13 novembre 2014 et l’entrée de l’apologie du terrorisme dans le code pénal, les prévenus encourent cinq ans de prison ferme, voire sept si les faits ont été commis sur internet.
Mais le tribunal, constatant les troubles mentaux du jeune homme, a ordonné une expertise psychiatrique pour évaluer son état. Au moment des faits, Kévin avait déjà arrêté son traitement depuis plusieurs mois. L’audience est renvoyée une fois, puis deux. Le prévenu passe un mois et demi en détention provisoire en attendant. Les experts psys lillois, surchargés, n’ont toujours pas trouvé le temps de l’examiner. « Un dysfonctionnement de la justice », estime son avocate Samia Khiter. Il est jugé quand même.