Joni Mitchell, The River, tiré de l’album Blue (Reprise Records, 1971)
Il est temps de briser une bonne fois les rêves enneigés qui embrument tout le monde quand viennent les fêtes de fin d’année : certaines chansons de Noël ne sont pas des chansons de Noël. Désolé de casser l’ambiance alors que la bûche dort déjà sagement dans le congélateur du sous-sol à côté du demi-chevreuil offert par le voisin chasseur en échange d’un coup de batterie pour dépanner son Kangoo. On a d’ailleurs déjà parlé, dans ce désormais annuel épisode de Face A, face B de Noël, de l’histoire de Jingle Bells (lire l’épisode 115 de la saison 1, « “Jingle Bells” touche le grelot »), né comme une chanson de drague sur la neige avant de muer en classique à grelots. C’est aussi le cas d’un titre plus récent, qui s’est installé comme l’un des rares nouveaux incontournables de Noël dans les programmations des radios américaines et britanniques qui virent au full Christmas spirit dès que le 10 décembre est passé : le River de Joni Mitchell, paru sur son gigantesque classique mélancolique Blue, en 1971.
Évidemment, il y a d’emblée quelque chose d’hivernal dans cette chanson qui commence par une évocation au piano des cloches de Jingle Bells en même temps qu’elle fait un clin d’œil au White Christmas version Frank Sinatra. L’ambiance est bien celle du dernier mois de l’année, que décrivent les premières lignes des paroles de Joni Mitchell :
« Noël approche
Les arbres sont coupés
Les rennes sont accrochés
On chante des chansons de joie et de paix »
Mais, à vraiment écouter River après cette attaque hivernale, c’est autre chose qui se joue. Pas de ski ni de bonhomme de neige ici : Joni Mitchell, alors âgée de 28 ans, nous parle depuis la Californie où elle s’est installée en 1967 pour y trouver un endroit où on la prendrait pour qui elle est, enfin. C’est-à-dire une autrice, compositrice et chanteuse surgie de nulle part avec une musique immédiatement unique, mais aussi une artiste en fuite et « sans défenses personnelles » dans ces années où elle naviguait d’amours toxiques en ruptures déçues, entre Méditerranée et Pacifique. C’est la motrice de Blue, un album qui fait le point sur une vie pour en reprendre le contrôle. Un disque que Joni Mitchell écrit en bonne partie en Crète et sur la petite île espagnole de Formentera, au large d’Ibiza, où la Canadienne a fui son amour disparu avec Graham Nash.