
Parfois, un album ne trouve pas sa place dans les colonnes de « Face A, face B » alors qu’il l’aurait méritée sans forcer. Parce qu’on essaye, dans cette chronique hebdomadaire, de varier les plaisirs, les musiques et la notoriété des artistes, de faire attention aux genres des interprètes que l’on évoque. Bref, parfois, il y a des disques qui restent au bord du chemin. Ça valait bien une session de rattrapage pour ce premier « Face A, face B » de l’année 2022, en deux disques aussi touchants que différents.
Zinée, Cobalt (Low Wood, 2021)
On peut donc sortir un album à la fin du mois de juillet, quand tout le monde empaquette pour les vacances de l’été et abandonne l’actu pour écouter Balavoine dans la voiture de location, et remonter lentement à la surface des œuvres marquantes de cette année 2021. Cobalt, première œuvre d’importance de la jeune carrière de Zinée (dix titres, 26 minutes, un pur objet du streaming qui se moque des formats), s’est ainsi taillé sa place au talent et à la patience au milieu des mille écoutes qui s’entrechoquent de partout. À la fin de l’année, Cobalt est encore là parce que c’est un disque personnel comme rarement, un récit différent qui se place dans le monde du rap mais aussi dans celui de la chanson.
Zinée, 24 ans et enfant de Toulouse, raconte avoir longtemps été bègue, une ado qui ne se sentait pas bien à l’école et peinait à s’exprimer. C’est tout sauf anodin, tant Cobalt est un disque plein de mots pensés et malaxés avant d’être exprimés, de sentiments profonds qui tentent de se vocaliser de façon satisfaisante. Zinée n’y arrivait pas encore totalement dans ses tentatives précédentes, presque dans son quatre-titres Futée de 2020. Cobalt est son saut de géant, qui se balance avec une sérénité troublée entre un son intérieur très mélancolique et un extérieur qui roule des mécaniques sans être totalement sûr d’avoir sa place dans ce jeu. C’est la beauté de l’écriture de Zinée, qui est totalement fière et percutante comme il faut l’être dans le rap nourri à l’egotrip (l’ouverture qui frappe : « J’avais 18 agrafes dans la gorge/J’suis en mode invincible j’avance sans la mort ») et d’une fragilité désarmante, d’une candeur presque enfantine qui se tortille les mains et regarde le monde par en-dessous sa capuche (une phrase comme « J’suis plus sûre de rien depuis qu’j’fais des tours dans ma belle voiture rouge grenadine »).
Zinée n’a pas inventé le rap fragile, on l’a croisé dans les moments les plus à vif de Damso, Meryl, Lomepal ou Dinos rien que ces dernières années, avant cela dans le rap indépendant des années 2000, ce rap « conscient » de James Delleck ou Fuzati.