Kendrick Lamar, Mr. Morale & the Big Steppers (Aftermath/Interscope, 2022)
On aurait pu attendre des semaines avant de parler du cinquième album de Kendrick Lamar, Mr. Morale & the Big Steppers, laisser passer le temps nécessaire pour digérer ce très gros disque (18 titres, 1 h 13 de musique, aucun moment de répit) d’une densité rare. Mais il faut bien se lancer et c’est aussi le jeu de la critique musicale : elle se fait à chaud, quitte à regretter parfois ce qu’on a écrit, mal compris ou mal dit. Ces erreurs disent aussi le moment dans lequel une œuvre est sortie, après tout.
Dans le cas de Kendrick Lamar, le moment est toujours très important. Le rappeur de Compton en Californie, bientôt 35 ans, ne parle jamais dans le vide mais toujours de lui, de là où il en est dans ses réflexions, ses actions, ses erreurs passées aussi. C’est le grand thème de ce cinquième long format né lentement, ce qui a laissé vivre à peu près toutes les théories et attentes sur la suite qui serait donné à son Damn. de 2017, un disque mélodique et souvent plus rond que ses prédécesseurs, qui invitait Rihanna et U2 pour faire le pont entre les passions de Lamar pour le rap des années 1990 et des ambitions populaires nouvelles. Damn. a valu à Lamar un prix Pulitzer de la musique très symbolique, puisqu’il était alors le premier artiste à le recevoir en dehors des mondes du classique et du jazz.
Depuis ce disque qui l’a extrait encore un peu plus des sphères purement rap pour en faire une sorte de nouveau Dylan, Kendrick Lamar a beaucoup disparu. C’est-à-dire, encore plus que d’habitude, lui qui n’aime pas les réseaux sociaux et coupe souvent son téléphone pendant des jours entiers. Dans le titre N95 qui apparaît sur ce dernier album, il appelle d’ailleurs à cette déconnection : « Débranchez le Wi-Fi, le micro-ondes, le téléphone. » Libéré de ce fil envahissant, Lamar s’est aussi beaucoup promené dans les bois, a sérieusement déprimé et a eu deux enfants, qui apparaissent sur la pochette de Mr. Morale & the Big Steppers en compagnie de sa compagne Whitney Alford. Il a parlé d’un blocage d’écriture, il lui fallait surtout du temps.
Pendant cette période suspendue, Kendrick Lamar n’en a pas moins enchaîné les digressions, en travaillant notamment sur la bande originale du film de superhéros Black Panther, pour lequel il a composé ou cocomposé cinq titres. Puis il est revenu à la Kendrick Lamar : avec un communiqué de presse sans fioritures qui annonçait son nouvel album, puis avec