
Manuel Göttsching, E2-E4 (Inteam, 1984)
On peut changer l’histoire de la musique deux fois et disparaître sans faire la une des journaux. C’est ce qui vient d’arriver à Manuel Göttsching, qui est décédé le 4 décembre à l’âge de 70 ans en Allemagne où il a fait toute sa carrière. La première fois qu’il a réorienté le cours de la musique que nous écoutons, c’est au sein du groupe Ash Ra Tempel et plus largement du mouvement krautrock, un recommencement de la musique allemande mené par une jeune génération pressée d’effacer la barbarie du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes dans les années 1970 et des groupes comme Tangerine Dream, Popol Vuh, Amon Düül II, Can ou Neu! s’entremêlent pour inventer une kosmische musik, une « musique cosmique » qui garde du rock les instruments et la puissance rythmique pour y injecter les boucles hallucinogènes des nouveaux synthétiseurs et boîtes à rythmes. Ajoutez à cela beaucoup de drogues et l’ambiance de terrain vague sous surveillance qui régnait dans les deux Allemagnes des années 1960 et 1970, et vous avez l’un des mouvements sonores les plus inventifs et influents de la seconde moitié du XXe siècle, où Manuel Göttsching a joué un rôle de premier plan dans Ash Ra Tempel autant que dans une myriade d’enregistrements avec ses compagnons de jeu du moment puis en solo.
Alors que la vague krautrock se dispersait en mille ruisseaux sonores, Göttsching a lui continué en solo sous le pseudonyme Ashra puis sous son propre nom, en enregistrant en 1975 un disque intrigant et bien nommé : Inventions for Electric Guitar. Soit 45 minutes de boucles de guitare organisées dans un système de fausse répétition qui regardait sans se cacher vers le minimalisme américain de Terry Riley et Steve Reich, qui réinventaient alors la musique classique en fabriquant des empilements de rythmes savants avec très peu de moyens. Inventions for Electric Guitar reste une œuvre aussi troublante et moderne qu’au premier jour, qui anticipait beaucoup des principes de répétition qui ont guidé la naissance des musiques électroniques pour clubs nocturnes, mais laissait de côté toute préoccupation dansante pour le pur son des guitares démultipliées. Dans la foulée, Manuel Göttsching partait en tournée solo avec ses guitares, ses pédales, ses synthétiseurs et des ordinateurs, pour se lancer dans des improvisations longues parfois de plusieurs heures, avant de faire de même pour accompagner les spectacles multimédia d’une amie.