Nappy Nina, Double Down (LucidHaus, 2021)
irDe que le rap a pris le pouvoir dans le monde de la musique est une tarte à la crème longuement explorée sur Les Jours (lire l’épisode 6 de La fête du stream, « Rappeurs, les nouveaux yéyés du stream »). Il domine sur presque toutes les plateformes de streaming, écrase toutes les autres musiques en roulant des chiffres d’écoute qui gonflent sans cesse. Pourtant, dire rap ne veut pas dire grand-chose tant le genre est foisonnant, et tous les raps ne bénéficient pas de cet appel d’air. Loin de là. Prenez la talentueuse rappeuse américaine Nappy Nina, dont la plupart des titres plafonnent à 10 000 ou 20 000 écoutes sur Spotify. La révolution du streaming récompense fort ce qui marche facilement, ceux et celles qui arrivent à se faire voir sur les réseaux sociaux et dans les playlists à la mode. Les autres, qui forment le vaste underground de la musique, restent invisibles. Même dans le rap.
Simone Bridges, alias Nappy Nina, fait fièrement partie de cet underground, elle a même ça dans le sang. À Oakland où elle a grandi, dans la baie de San Francisco, son père est un disc-jockey, un journaliste et un organisateur de concerts bien connu dans le monde du jazz, et les musiciens ont toujours défilé dans la maison familiale. Lui-même tient cette passion de loin, en l’occurrence de son père, Oliver Johnson, batteur de jazz recherché qui, dans les années 1970 et 1980, joua avec Anthony Braxton et longuement avec Steve Lacy avant de devenir, par des méandres qui n’ont pas été écrits, clochard à Paris dans les années 2000. On le croisait alors dans les clubs de jazz du quartier des Halles où sa légende lui ouvrait des portes, mais c’est sur un banc quelconque qu’il a été retrouvé mort en 2002, frappé par un autre zonard pour une histoire de bière qu’il ne voulait pas partager.
Nappy Nina ne parle jamais de ce passé familial et considère le jazz comme un cadeau à double tranchant. Noyée par cette musique dès sa petite enfance, elle a passé des années à apprendre la contrebasse en pleurant, avant de rejeter carrément ces racines trop forcées pendant son adolescence. Depuis qu’elle a une carrière de musicienne à elle, venue non par le jazz mais par le hip-hop, Nappy Nina a pris conscience que l’héritage familial est en elle et qu’il nourrit ses préoccupations musicales.