
Arno et Sofiane Pamart, Vivre (Pias, 2021)
Un jour de 2004, lors d’une interview que je réalisais pour la sortie de son album French Bazaar, Arno s’est lancé sur son bégaiement dont il ne s’est jamais caché. Ça lui gâche les interviews à la radio ou à la télé depuis ses débuts à la fin des années 1970, mais ça ne l’a jamais préoccupé plus que ça. Par contre, ça le fait rire et, ce jour-là, dans les locaux de son label dans le Marais, à Paris, il avait inventé une improbable « Association des bègues belges » dont il serait le président. « Ça serait vraiment génial, parce que c’est juste pas possible à prononcer quand on est bègue ! », rigolait-il avec cette voix bousillée qui n’est pas que celle de son chant si particulier. Puis l’interview l’a emmerdé et on est allés boire un verre à côté. Tout le monde a comme ça des anecdotes amusantes avec le chanteur belge, qui s’est élevé si doucement parmi les plus grands qu’on a parfois tendance à l’oublier. Alors, disons-le ici une bonne fois au cas où le cancer du pancréas qu’il a annoncé début 2020 ne tournerait pas comme il faut : Arno, 72 ans aujourd’hui, est un petit géant européen de la musique.
Bonne nouvelle, il vient de sortir un disque que l’on n’attendait pas et que l’on peut chérir tranquillement. Un disque à deux, lui à la voix et le jeune (31 ans) Nordiste Sofiane Pamart au piano, qui doit être le premier volume d’une collection lancée par son label belge, Pias, où des artistes viennent dépouiller leurs chansons sur une instrumentation minimale. Le choix d’Arno pour inaugurer l’idée était évident, tant il a passé ces quarante dernières années à déconstruire ses propres chansons et celles des autres (Brel, Adamo), dans ses albums comme sur scène. La musique d’Arno revient comme ça sur elle-même régulièrement pour être sûre de ne pas perdre pied musicalement, et c’est ce qui l’a effectivement sauvée quelques fois de l’ennui rock dans les années 1990 et 2000. Choisir Sofiane Pamart pour l’emmener ailleurs aujourd’hui est habile : ce pianiste formé au conservatoire autant qu’au rap est devenu ces dernières années un chaînon très demandé entre le monde du hip-hop et celui des musiques classiques et jazz. On l’a ainsi entendu avec SCH, Ninho, Koba LaD ou Maes ; il vient désormais seconder Arno le temps d’un disque.

À vrai dire, Sofiane Pamart est probablement trop venu en dilettante sur Vivre. Il n’avait jamais rencontré Arno auparavant alors qu’un homme comme ça, ça se vit au-delà de la musique.