
Nina Simone, The Montreux Years (BMG/Montreux Sounds, 2021)
Pourquoi a-t-il fallu attendre 2021 pour que tout le monde puisse entendre les cinq gigantesques concerts de Nina Simone donnés sur la scène du festival suisse de Montreux ? C’est un mystère, tant ces moments passionnants la montrent, dans toutes ses forces et ses faiblesses, à des époques-clés de sa carrière. La discographie de Nina Simone est un mystère en elle-même, compliquée très tôt par son slalom de label en label dans ses jeunes années puis par la prolifération de versions bootlegs de ses chansons et de ses concerts. S’est ajouté ensuite l’intense bazar de sa succession, entre ses managers avides, ses ex-maris accapareurs et sa famille perdue dans les méandres de l’industrie de la musique. C’est donc le foutoir et ces Montreux Years qui sortent enfin constitueront à partir d’aujourd’hui un socle fiable
Le concert du 16 juin 1968, qui s’est tenu lors de la deuxième édition du festival de jazz suisse, fut une épreuve dans l’esprit de Nina Simone. Elle raconte dans ses mémoires, Ne me quittez pas (Presses de la Renaissance, 1998), avoir dû être accompagnée sur scène et avoir failli fondre en larmes avant de parvenir à lancer ses mains sur son piano, encore choquée par l’assassinat, dix jours plus tôt, de Robert Kennedy à Los Angeles. C’était quelques mois après celui de Martin Luther King et la période était plus que troublée pour Nina Simone, profondément engagée comme artiste dans le combat pour les droits civiques. Pourtant, les témoignages de l’époque, nombreux puisque le concert était si demandé qu’une partie des spectateurs a fini par le suivre sur un écran installé dans une autre salle, racontent une Nina Simone décidée plutôt qu’éplorée.