Le jeudi 21 octobre 2021, Sofya Rudeshko se rend au commissariat de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques, pour déposer une main courante contre son ancien compagnon. « Je vais chez les flics parce que j’en peux plus, dit-elle à son amie Laura, dans un message écouté par Les Jours. C’est du harcèlement continu. J’en peux plus, vraiment je touche le fond. Tous les jours je chiale. » Au terme d’un entretien de treize secondes avec un officier de police judiciaire (OPJ), sa déposition est refusée. « J’ai payé le parking, je me suis fait chier à attendre deux heures et demi pour qu’ils me disent : “Oh on a trop de monde, on ne va pas le faire maintenant”, fulmine-t-elle le lendemain, dans d’autres vocaux adressés à Laura. On est pas du tout protégées dans ce putain de pays… » Le lendemain, dans la nuit du vendredi 22 au samedi 23 octobre 2021, Sofya Rudeshko, 34 ans, est tuée à coups de couteau par son ancien compagnon, Christophe Bernadet. Dans la foulée, celui-ci chute du balcon de la victime. Dépêchés sur place, les pompiers tenteront en vain de le réanimer, sous le regard des policiers présents. Tous mettront plusieurs dizaines minutes à pénétrer dans l’appartement où Sofya Rudeshko agonise.
La jeune femme aurait-elle pu être sauvée ? C’est ce que pensent sa mère, Svetlana Rudeshko, et son beau-père, Philippe Proux. Le 2 novembre dernier, ils ont assigné l’État en responsabilité pour fautes lourdes devant le tribunal judiciaire de Paris, comme le révèlent Les Jours. Ils veulent dénoncer les nombreux dysfonctionnements des services de la justice autour de ce féminicide conjugal. « Si les choses s’étaient passées légalement, normalement, nous n’en serions pas là, estiment-ils. Notre fille a été traitée avec une indifférence coupable. »

Dans ce dossier, les éléments troublants s’accumulent. L’été dernier, alors procureure de Pau, Cécile Gensac déclarait à la presse et à la famille l’extinction de l’action publique en raison de la mort de l’auteur des faits, comme le droit le prévoit, et donc le classement de l’enquête, prévu pour le 30 septembre 2022. Selon elle, l’enquête concluait à la culpabilité de Christophe Bernadet et à la préméditation de son acte, établie par une lettre où il faisait part de ses intentions. Sollicité, le nouveau procureur de Pau, Rodolphe Jarry, oppose pourtant aux Jours que « l’enquête au fond est toujours en cours », sans plus de précisions.
Les parents de Sofya Rudeshko, eux, n’ont jamais été tenus au courant de ces étranges soubresauts procéduraux avant que nous ne les en informions.