C’est un parti qui, selon sa présidente, « n’a rien à se reprocher ». Qui garde la « tête haute » et les « mains blanches », contrairement à d’autres. Le Front national, devenu Rassemblement national en juin 2018, a changé de nom mais pas de disque : il accuse ses adversaires des pires magouilles et se défend d’y prendre part. Vu ses résultats électoraux, l’argument semble convaincre.
Du 6 au 29 novembre, les comptes du parti d’extrême droite vont pourtant être mis à plat, voire à nu. Le tribunal correctionnel de Paris doit se pencher sur le financement de quatre campagnes électorales, fruit d’une collaboration étroite entre le Front national, Jeanne (le microparti de Marine Le Pen) et la société Riwal, un prestataire ami dirigé par Frédéric Chatillon : la présidentielle et les législatives de 2012, les municipales de 2014 et les départementales de 2015. Sept prévenus
Ces campagnes électorales sont entachées par des soupçons de surfacturation visant à escroquer l’État, en maximisant les remboursements publics au titre du financement des partis politiques. Notamment à travers l’ingénieux système des « kits de campagne », onéreux et obligatoires, que devaient souscrire les candidats aux législatives de 2012. Riwal se voit par ailleurs reprocher de nombreuses faveurs accordées à Jeanne et au Front national : mise à disposition de locaux et de salariés, crédits avantageux, règlement de factures, embauches de complaisance. Pour les juges d’instruction, la « confusion » entre ces différentes structures était volontairement entretenue. Jean-François Jalkh et Wallerand de Saint-Just, aux manettes de Jeanne et du Front, doivent également en répondre. Frédéric Chatillon et sa compagne Sighild Blanc, bénéficiant d’un train de vie confortable grâce aux contrats avec le Front, sont poursuivis pour avoir effectué des dépenses personnelles sur le compte de leurs sociétés respectives et blanchi de l’argent en Asie. Les comptables Nicolas Crochet et Olivier Duguet sont considérés comme complices de ces manœuvres. Tous nient leur participation à une quelconque démarche frauduleuse. L’infraction de « financement illégal de parti politique », un temps retenue pendant l’enquête, a finalement été abandonnée en raison d’une modification législative.
Parmi les affaires financières qui touchent le parti de Marine Le Pen, celle-ci est la première à déboucher sur un procès. Celle-ci ou celles-ci, puisque tout a commencé par deux enquêtes distinctes (surnommées « Jeanne 1 » et « Jeanne 2 » ou « Riwal 1 » et « Riwal 2 »), regroupées en bout de course. La première, qui porte sur l’élection présidentielle et les législatives de 2012, a été ouverte en 2013, à la suite d’un signalement de la Commission nationale des comptes de campagnes et du financement politique (CNCCFP). Tous les prévenus sont concernés par cette affaire « Jeanne 1 ». La deuxième enquête, consacrée aux autres élections citées, a été ouverte en 2016 sur une alerte de Tracfin. Seuls Frédéric Chatillon, Jean-François Jalkh et Jeanne sont renvoyés devant le tribunal pour ces faits. Une troisième enquête, s’intéressant au rôle d’Axel Loustau et de sa société Les Presses de France dans les élections régionales de 2015, a été ouverte peu après. D’après les informations des Jours, elle a finalement été classée sans suite début 2019 pour cause « d’infraction insuffisamment caractérisée ».
L’audience promet d’ouvrir une fenêtre publique sur le fonctionnement du Front national, son rapport à l’argent et ses réseaux dans le monde des affaires. Avec une petite particularité : plusieurs prévenus, proches de Marine Le Pen, sont issus des rangs du GUD. Dans leur livre Marine est au courant de tout, paru en 2017 (Flammarion), c’est ce que les journalistes Marine Turchi et Matthias Destal appelaient la « GUD connection ». « Réputé pour sa violence, ce mouvement étudiant d’extrême droite radicale a fourni à Marine Le Pen ses amitiés les plus fidèles. Au fil des années, ces militants reconvertis dans le business se sont infiltrés aux postes stratégiques. Aux manettes de la communication du FN, à la direction de Jeanne, le microparti de la candidate, à la tête des finances de sa campagne, les “gudards” sont partout. » Et ils préfèrent se tenir « à bonne distance des photographes et des caméras ».
Si les protagonistes de ce procès font rarement la une des journaux, ils exercent toujours des responsabilités au sein du Rassemblement national ou sur ses marges, en tant que prestataires pendant les campagnes électorales. Malgré les ennuis judiciaires, le parti ne les a pas écartés. Parce qu’ils lui sont indispensables, peut-être, ou pour coller à la ligne de défense : tout ceci n’est qu’une manœuvre politique visant à affaiblir Marine Le Pen, qui a succédé à son père en 2011.
Même si son ombre plane sur la salle d’audience
L’audience, prévue sur douze demi-journées, s’annonce dense. Les avocats de la défense ne manqueront pas de mettre en cause la manière dont l’enquête a été menée. Entre vingt et trente témoins, cités par l’accusation comme par la défense, sont attendus à la barre. Imprimeurs, commissaires aux comptes, anciens candidats et secrétaires départementaux du Front national, cadres du parti