Au moment précis où Olivier Duguet, le comptable de la société Riwal et ancien trésorier du microparti Jeanne, se positionne devant la barre, ce jeudi soir, avec sa gueule de boxeur qui a trop servi, l’audience bascule dans un vortex. Jusqu’ici, au procès du financement du Front national, tout le monde a fait l’effort de s’initier à des joies nouvelles : le « coût pour mille » des imprimeurs, l’art de détourer les photos de campagne, la déontologie des commissaires aux comptes, les tenues chatoyantes de Jean-François Jalkh, le secrétaire général de Jeanne, et même la climatisation du Palais de Justice de Paris en hiver. Tout est compréhensible finalement, à condition de s’y intéresser. Tout sauf la déposition d’Olivier Duguet. Le prévenu marmonne, se tortille au micro, emprunte des chemins de traverse qui ne sont logiques que dans sa tête. La présidente Rose-Marie Hunault, si joviale d’ordinaire, en perd son latin et son calme. Elle appelle l’avocat Laurent Barone à la rescousse pour qu’il canalise son client : « Aidez-moi, maître. » Et avoue, un peu plus tard : « Je n’y comprends rien. »
On établit, à force de concentration, quelques certitudes. Olivier Duguet travaille depuis vingt-cinq ans dans la comptabilité et la gestion, bien qu’il n’ait pas réussi à devenir expert-comptable en titre. C’est un homme de projets qui ne marchent pas souvent. Il passe une bonne partie de son temps à monter des sociétés et à les fermer, parfois en se fâchant au passage. De 2010 à 2012, il cumule les missions comme d’autres les mandats : trésorier du microparti Jeanne et prestataire pour Jeanne, comptable de Riwal et prestataire pour Riwal, la boîte de com attitrée du FN. L’accusation, qui se fonde en partie sur la confusion des rôles, s’en trouve agréablement confortée (lire l’épisode 1, « La justice emmerde le Front national »).

Pour les législatives de 2012, Olivier Duguet s’occupe de pas mal de choses compliquées. Notamment de déclencher les virements permettant aux candidats d’obtenir le prêt contracté auprès de Jeanne et de récupérer, en échange, les chèques émis par les mêmes candidats pour acheter le kit de campagne à 16 650 euros (lire l’épisode 3, « Le FN nu sous son kit »). En résumé, il estime que ses écritures comptables « sont toutes justifiées ». En cas de problème, il vaut mieux que d’autres interviennent, pour le bien de tous.