Il n’est même pas 8 heures que les journalistes et les élus font déjà le pied de grue devant les portes dorées de l’hôtel de ville. En ce lundi matin, 5 novembre, c’est jour de vote à Lyon. Après sa démission de la place Beauvau, Gérard Collomb se représente lors d’un conseil municipal extraordinaire pour redevenir maire de Lyon. Quelques citoyens se sont même levés aux aurores pour assister à l’élection. Amusé, le rédacteur en chef d’un journal local nous lâche dans la cour : « C’est quand même ma quatrième élection de Gérard Collomb. »
Face à l’affluence, nous devons insister pour rentrer. Les photographes et une partie du public restent confinés à côté, dans l’atrium, devant des écrans de télévision. Dans la magnifique salle du conseil datant du XVIIIe siècle, ornée de boiseries, de murs peints et de toiles de maître, 70 conseillers municipaux ont pris place en arc de cercle. Les deux « K », Georges Képénékian, maire de Lyon intérimaire, et David Kimelfeld, président de la métropole, tous deux en poste depuis juillet 2017, sont au fond, côte à côte. Serrant quelques mains, Gérard Collomb, costume et cravate noirs, s’est installé au premier rang de l’hémicycle, face au fauteuil de maire, au milieu de ses adjoints. « J’ai l’honneur de présenter ma candidature », déclare-t-il, sobre, la main levée. Seul Denis Broliquier, maire de centre droit du IIe arrondissement (depuis 2001), ose défier le baron, se déclarant lui aussi candidat au poste suprême.
Le doyen, Roland Bernard, un conseiller municipal proche du baron, « ami de quarante ans », préside la séance. Tour à tour, les élus déposent un bulletin manuscrit dans une grande urne transparente. Les votants sont scrutés. Les élus de la majorité qui se rendent dans l’isoloir, facultatif, sont peu nombreux. Ils pourraient bien être les traîtres. Treize élus d’opposition (de gauche et de droite) refusent de prendre part au vote, dont l’écologiste Étienne Tête. Un quatorzième, Thierry Braillard, ex-secrétaire d’État aux Sports sous François Hollande et ancien adjoint de Gérard Collomb, ne s’est même pas déplacé ce lundi. Il s’était présenté aux législatives de 2017 contre le candidat de la baronne Caroline Collomb, responsable d’En marche dans le Rhône. Évincé de la Collombie en 2017, il a arrêté la politique. « Vous pensez qu’il va y avoir des surprises ? Je pense que non », rigole une élue d’une commune du Rhône, qui se présente comme une amie de Képénékian, et a trouvé refuge à nos côtés, sur le banc « presse ». « Tout est saucissonné. »
La suite lui donne raison. Il est près de 10 heures quand, sans suspense – la majorité lui étant acquise –, Gérard Collomb est largement réélu maire de Lyon au premier tour avec 41 voix, contre huit pour son adversaire du jour. Dix conseillers seulement ont voté blanc. C’est la quatrième élection du baron, après trois mandats de maire, écourtés par un intérim de dix-sept mois au ministère de l’Intérieur. À 71 ans, plus de quarante ans après son entrée à l’hôtel de ville comme simple conseiller municipal, en 1977.
Sous les applaudissements, Gérard Collomb, en majesté, enfile une nouvelle fois l’écharpe de maire. Tout sourire, il pose, les bras écartés devant les photographes, entrés furtivement pour un shoot collectif. Comme s’il ne l’avait jamais quitté, il s’assoit sur le trône de maire, face à l’hémicycle. Impatient, il commence aussitôt son discours en remerciant son fidèle parmi les fidèles, Georges Képénékian, maire intérimaire de juillet 2017 à octobre 2018, et unanimement salué par les groupes politiques, y compris d’opposition. « Nous avons connu des moments qui pouvaient être difficiles, mais jamais sa loyauté ne s’est démentie. Il a été pour vous un maire exceptionnel », félicite le baron avec tendresse, avant de s’attaquer au second K, sur un ton plus neutre. « Je veux remercier David Kimelfeld. Lui dire qu’entre la métropole de Lyon et la ville de Lyon, il n’y aura aucune difficulté à travailler ensemble », assure Gérard Collomb, feignant l’apaisement avec David Kimelfeld. Le président de la métropole depuis juillet 2017, très apprécié, plus social et plus souple que son ex-mentor, n’a pas envie de rendre la place. Les deux hommes rêvent désormais tous deux de briguer la présidence de la métropole en 2020.
Selon moi, vous avez 15 000 raisons de ne pas revenir à la tête de notre ville. 15 000, c’est le nombre de jours écoulés depuis votre première élection, le 25 mars 1977, au conseil municipal.
Dans son discours de politique générale devant le conseil municipal de Lyon, le baron marche déjà allègrement sur les plates-bandes du prince de la métropole. Il parle d’une vision d’agglomération plus que de ville. Il évoque pêle-mêle le « défi climatique », la lutte contre la pollution de l’air. Rappelle l’invention des Vélo’v, la mixité sociale, le vivre ensemble et la tradition humaniste de Lyon. Un nouveau Collomb, à 71 ans, plus écolo et social, qui fait frémir ou rire dans les rangs de l’opposition.
Eux ont déjà commencé à sortir les couteaux. À commencer par Nathalie Perrin-Gilbert, la maire du Ier arrondissement (Gram - Front de gauche), l’ancienne dauphine de Gérard Collomb devenue, à 46 ans, sa première opposante. Dans son intervention, elle attaque en parlant de « comédie du pouvoir » et de « simulacre de démocratie ». « Selon moi, vous avez 15 000 raisons de ne pas revenir à la tête de notre ville, lâche-t-elle. 15 000, c’est le nombre de jours écoulés depuis votre première élection, le 25 mars 1977, au conseil municipal. Notre ville s’apprêtait alors à inaugurer le crayon de la Part-Dieu. Et Raymond Barre venait porter sur les fonts baptismaux l’hôtel de la communauté située rue du Lac. La mère Brazier servait son dernier repas, tandis qu’Aimé Jacquet entraînait notre équipe de football et venait de vendre Bernard Lacombe pour éviter la faillite », égrène-t-elle avec humour.
« Le procès du gang des Lyonnais s’ouvrait devant la cour d’assises du Rhône avec un André Soulier déjà dans la force de l’âge sur les bancs de la défense », reprend la maire du Ier. « Les Lyonnaises et les Lyonnais découvraient, émerveillés, la ligne A du métro […]. L’émetteur de Fourvière offrait pour la première fois la possibilité de regarder le journal télévisé de Roger Gicquel en couleur. À 600 kilomètres de Lyon, un enfant poussait son premier cri à la maternité d’Amiens. Il s’appelait Emmanuel Macron », pique Nathalie Perrin-Gilbert, attaquant l’âge du baron et sa longévité exceptionnelle à l’hôtel de ville.
Dans la même veine, Stéphane Guilland, chef de file de l’opposition LR au conseil municipal et soutien déclaré d’Étienne Blanc aux municipales de 2020, exhume des archives de 1995 dans lesquelles Gérard Collomb s’exprimait. « Vous parliez du score modeste au premier tour de Raymond Barre, qui allait sur ses 71 ans, en l’expliquant par la volonté des Lyonnais d’avoir un maire jeune, dynamique, proche des préoccupations du quotidien. Que faut-il en déduire aujourd’hui ? », lance le conseiller municipal LR, âgé de 48 ans (l’âge de Gérard Collomb lorsqu’il fustigeait celui de Raymond Barre). Pas vexé, le baron lui répond, taquin, à la fin de son intervention : « Merci M. Guilland. Le jour où vous ne ferez plus de politique, je vous prendrai comme biographe. » Après des interventions dévouées de ses adjoints, Gérard Collomb lève la séance à 12 heures, l’ordre du jour bouclé. Le couronnement s’est déroulé comme prévu, sans accroc. Mais en ce jour de sacre, le marathon politique se poursuit de l’autre côté du Rhône.
Dans le quartier de la Part-Dieu, se tient dans la foulée le conseil de la métropole de Lyon. Vers 15 heures, David Kimelfeld ouvre la séance. Elle risque d’être longue. Pour aiguiser les appétits, il prévient que Gérard Collomb, redevenu simple conseiller métropolitain, « arrivera dans l’après-midi ». Au sein de l’hôtel de la métropole, les élus, dans l’attente du baron, préfèrent la machine à café aux débats. Philippe Cochet, maire LR de Caluire-et-Cuire et ancien député (2002-2017), pense que Gérard Collomb est revenu parce qu’« il était tétanisé de la situation locale ». « Il ne pouvait pas redevenir président de la métropole, il n’avait pas la majorité », confie le maire de Caluire-et-Cuire, alors que la loi oblige que le maire de Lyon et le président de la métropole ne soient pas la même personne en 2020.
Le 29 octobre, David Kimelfeld a envoyé un message lourd de sens à Gérard Collomb : il a limogé de son cabinet deux proches du baron – qu’il avait hérités de son prédécesseur – pour « rupture de confiance ». Un signal affiché de sa fermeté et son indépendance dans sa gestion de la métropole de Lyon. Le premier, Jérôme Payen, chef de cabinet à la métropole, était un proche de Caroline Collomb. La seconde, Arabelle Chambre-Foa, directrice de cabinet, était les yeux et les oreilles de Gérard Collomb à la métropole. Les deux collaborateurs pourraient retraverser le Rhône et rejoindre dans les prochains jours le cabinet du baron, à l’hôtel de ville.
Il est 16 heures. On nous annonce que finalement, Gérard Collomb séchera le conseil de la métropole. Attirés par le bruit, de nombreux élus ont décidé de prendre l’air. Devant l’hôtel de la métropole, des pompiers en colère manifestent. Des flammes jaillissent sur leur passage. Tout un symbole.