Si les gilets jaunes ont pris l’habitude de compter en « actes » – 29 journées de mobilisation depuis le 17 novembre dernier –, le parquet de Paris est capable, lui aussi, de feuilletonner les poursuites. Acte I, le 7 décembre : après un signalement du préfet de police, le parquet de Paris ouvre une enquête contre Éric Drouet, l’une des figures du mouvement, pour « provocation à la commission d’un crime ou d’un délit ». Lors d’une intervention télévisée, ce chauffeur routier de 34 ans, originaire de Seine-et-Marne, avait déclaré : « Si on arrive à l’Élysée, on rentre dedans. » Acte II : le 29 mars, Éric Drouet est condamné à 2 000 euros d’amende dont 500 avec sursis pour avoir organisé deux manifestations non déclarées à Paris, les 22 décembre et 2 janvier derniers. Le procès en appel doit avoir lieu en janvier 2020. Acte III, ce mercredi : Éric Drouet revient au tribunal correctionnel de Paris pour des délits supposément commis lors de la même manifestation du 22 décembre, mais que le parquet a disjoints des autres. Cette fois, il est jugé pour « groupement en vue de commettre des violences ou dégradations » (lire l’épisode 10, « Ces obscurs objets du délit ») et pour « port et transport d’une arme de catégorie D », un objet de 30 cm que le procureur tient à appeler « matraque » et son avocat « bout de bois ».
Sweat à capuche noir, petite sacoche en bandoulière et baskets rouges, Éric Drouet fait profil bas devant une salle d’audience pleine : une quinzaine de journalistes, une trentaine de soutiens. C’est son avocat qui élève le ton. Khéops Lara soulève des nullités avec emphase, en dénonçant le « harcèlement » et « les coups tordus du parquet » depuis la mi-novembre. « La procédure pénale a été détournée de ses fins pour intimider et décrédibiliser le mouvement », affirme-t-il, déplorant de voir la justice ainsi « instrumentalisée » contre Éric Drouet et les autres gilets jaunes. Pour l’avocat, ça ne fait pas un pli : il ne s’agit pas de réprimer des délits commis par son client, mais de « le faire taire » et de « l’empêcher de manifester ».
Le samedi 22 décembre, dans le quartier chic de la Madeleine, dans l’ouest de Paris, une centaine de gilets jaunes se retrouvent cernés rue Vignon par des gendarmes mobiles et leurs camions. Deux vidéos projetées à l’audience montrent ce long face-à-face. Quelques insultes fusent parmi les gilets jaunes coincés, mais l’ambiance est plus au sarcasme qu’à la bagarre.