Samuel donne l’image d’un passager qui descend d’un train et prend une rue qu’il croit connaître, en éprouvant un sentiment d’étrangeté qu’il ne comprend qu’en réalisant qu’il s’est trompé de gare (lire l’épisode 5, « Après des mois, le déluge ? »). Pour le naturaliste lyonnais, c’est le risque aujourd’hui. Croire qu’on sait où on est. Alors qu’il le crie presque : « On ne sait ni où on est, ni où on doit aller, ni ce qu’on doit faire ! »
Visiblement, Bruno Latour a eu la même impression puisqu’il a intitulé son dernier livre Où suis-je ?, sous-titré « Leçons du confinement à l’usage des terrestres » (La Découverte, 2021). « Pas facile de reconnaître où [on] se trouve, surtout après un si long confinement, le visage masqué, en sortant dans les rues aux rares passants dont [on] ne voit que le regard fuyant », commence-t-il. D’autant moins que, désormais, où que nous posions les yeux autour de nous, tout est source d’inquiétude : le soleil rappelle le réchauffement climatique, l’eau sa raréfaction, l’air sa pollution, les champs l’agriculture intensive, etc. Il nous faut penser à nos moindres gestes. Alors qu’avant, il n’y a pas si longtemps, nous allions, insouciants.
Le philosophe compare ce qui nous est arrivé à une « métamorphose » : nous nous réveillons en ce moment le corps fourbu, maladroits dans nos mouvements, comme revêtus d’une carapace. D’où la comparaison avec le héros de Franz Kafka, Gregor Samsa, qui se découvre un beau matin cancrelat. Nous le sommes en un sens nous aussi, remarque aimablement monsieur Latour. Nous allons le rester. Et ça peut nous sauver. D’où l’intérêt de ce livre, et peut-être son succès. Depuis un moment déjà, le chercheur alerte, dans la communauté universitaire et écologiste d’abord, aujourd’hui davantage le grand public. Son livre Face à Gaïa, dans lequel il invitait dès 2015 à penser l’« ensemble de boucles de rétroactions en perpétuel bouleversement » entre vivants et non-vivants, s’est vendu à 12 000 exemplaires. Le suivant, Où atterrir ?, dans lequel, en 2017, il partait du postulat qu’« on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans si l’on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation », s’est vendu quant à lui à 35 000 exemplaires, se félicite l’éditeur. Tandis qu’Où suis-je ?, le plus récent, amène son auteur à parcourir les médias.
Sur France Culture, le 25 janvier, Bruno Latour explique ainsi qu’« on peut considérer que nous sommes des élèves dans une classe de rattrapage et que nous avons un répétiteur particulièrement dur et in-influençable, qui est le virus, qui répète ses leçons ».