À Kherson (Ukraine)
Début novembre, Sergueï Kaouchane avait fini par se décider : il tenterait de retourner à Kyselivka, village du sud de l’Ukraine fondé par des immigrés polonais il y a deux siècles, où il avait bâti ces dernières années un business agricole florissant. Revenir pour quelques heures tout au plus, constater les dégâts, récupérer quelques documents administratifs oubliés dans le chaos de la fuite au mois de mars, couper l’eau avant les premières gelées. Voir de ses yeux. Il faudrait ensuite repartir vite : si le dernier soldat russe a quitté Kyselivka au début de l’été, la ligne de front gratte depuis les limites d’un village transformé en invivable champ de bataille.
Sergueï, cheveux grisâtres, visage rond et petits yeux déterminés, comptait sur un contact de l’autre côté de la ligne de front pour le renseigner. Si la situation était calme, si les rumeurs d’un départ imminent des troupes russes se vérifiaient, peut-être les soldats ukrainiens positionnés aux checkpoints le long de la route le laisseraient-ils passer. Le soir du 9 novembre, il appelle et la femme au bout du fil semble elle-même un peu surprise : « Sergueï, les Orques ont disparu. » L’homme ne perd pas de temps : le 10 novembre, il se met en route à l’aube avec un ami et bute rapidement sur l’un des premiers postes de contrôle tenus par l’armée ukrainienne. L’ami, lui aussi originaire du village, explique :