Envoyé spécial en Ukraine
À 20 kilomètres de Lviv, la grande ville de l’Ouest ukrainien, la route peu fréquentée qui mène vers Ternopil traverse une multitude de villages. À chaque embranchement, aux checkpoints, les hommes ont un brassard jaune autour du bras en guise de signe distinctif. À l’autre épaule, certains ont un fusil de chasse, d’autres n’ont qu’une matraque, à la main ou attachée à la ceinture. Simples civils, ils portent leurs tenues de tous les jours, sans insignes militaires. Ils appartiennent aux unités de défense territoriale créées au lendemain de l’invasion russe. Leur objectif ? Veiller à la sécurité de leur village et organiser la résistance. Ces unités ont fleuri un peu partout sur le territoire ukrainien (lire l’épisode 1, « Aux sources de la résistance ukrainienne »). Jusque dans les villages qui se transforment en véritables garnisons, entièrement tournées vers l’effort de guerre, qu’il soit militaire ou humanitaire.
Autour d’un bidon d’essence servant de brasero, une douzaine de civils se réchauffent. À proximité, des caisses en bois remplies de plusieurs dizaines de bouteilles de bière converties en cocktails Molotov sont prêtes à être dégainées. Cette barricade de fortune, encadrée de sacs blancs de sable empilés jusqu’à hauteur d’hommes, permet de contrôler l’accès au village, qu’on ne nommera pas pour des questions de sécurité. Il se trouve à cinq minutes en voiture, sur un flanc de colline. Celui qui surveille ce post est un homme frêle de 44 ans, bonnet noir et yeux bleus. « Je suis mécanicien, mais la communauté m’a désigné comme le responsable de la défense du village », dit Roman. Depuis que le groupe d’autodéfense est sur le pied de guerre, il dirige ses amis d’enfance et prépare la résistance avec les moyens du bord. La Russie cible maintenant des installations militaires dans la région, dont une base située à 25 kilomètres de la frontière polonaise, où s’entraînait la légion étrangère que l’Ukraine a formée pour aider à combattre la Russie. Le bombardement a fait 35 morts et 134 blessés dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 mars. Trois des volontaires étrangers rencontrés par Les Jours s’y trouvaient ; ils ont survécu (lire l’épisode 3, « Volontaires étrangers : un aller simple pour l’Ukraine »). Depuis, le niveau d’alerte dans cette région a augmenté.
Le village dispose de deux routes, donc de deux checkpoints. Sous une tente kaki installée aux abords du point de contrôle principal, Roman enchaîne les cigarettes.