C’était censé être une arme anti-Zemmour. Pendant cette campagne électorale, Jean-Luc Mélenchon s’est réclamé du poète Édouard Glissant pour porter, seul, un thème original : la créolisation, afin de qualifier les phénomènes de métissage à l’œuvre en France. Le 20 mars dernier par exemple, lors de son meeting place de la République à Paris, le candidat de La France insoumise a lancé : « Nous sommes un peuple fier et heureux d’être déjà créolisé. » Mais qu’est-ce que cela veut dire, être « créolisé » ?
Pour répondre à cette question, il faut revenir à un autre moment de cette campagne : le débat entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour dans l’émission de Cyril Hanouna Face à Baba, le 27 janvier dernier sur C8. Entre les insultes et les cris, les deux candidats se sont écharpés sur le sujet. L’auteur du Suicide français a attaqué bille en tête son adversaire, qui se réclame du poète antillais Édouard Glissant et utilise régulièrement cette expression pour qualifier les phénomènes de métissage à l’œuvre en France. Le candidat d’extrême droite lui a reproché de dire « exactement la même chose » que lui, mais en utilisant un terme plus sympathique. Selon Zemmour, Jean-Luc Mélenchon « voit la France créolisée », ce qui est « un joli mot », puisqu’on « pense au rhum et aux danses de zouk », sauf que la réalité de la créolisation, ce serait le « grand remplacement » et « l’islamisation », « comme à Roubaix » (une référence à un reportage de M6 sur l’influence croissante d’un islam rigoriste dans la cité nordiste). En réaction, Mélenchon a traité son opposant de « nigaud » et a lâché que la créolisation n’avait rien à voir avec la religion. Mais les deux candidats s’interrompant continuellement, il a été impossible de comprendre pourquoi ils s’opposaient sur le fond.
Alors, la « créolisation » est-elle l’autre nom du « grand remplacement », mais vu positivement ? Quand on lit Édouard Glissant, la réponse est facile : c’est non. Son œuvre n’a rien à voir avec la théorie raciste et complotiste que nous avons décrite ici (lire l’épisode précédent, « Le grand n’importe quoi du “grand remplacement” »). Pourtant, la manière dont le candidat de La France insoumise s’est emparé du concept du poète antillais est gênante. La pensée de Glissant est subtile et, bien souvent, Mélenchon ne l’est pas. Résultat, si l’idée de créolisation gagne en notoriété, c’est au risque d’être profondément dénaturée.
Premier problème : si Jean-Luc Mélenchon cite Édouard Glissant comme inventeur du concept, le terme de créolisation est en fait beaucoup plus ancien.