De Belfast
Il est 9 heures. Un camion s’engage sur le seul terrain vague de Donegall Pass ; deux hommes s’en extirpent et détachent les sangles qui tiennent la bâche en place. Péniblement, ils déchargent 500 palettes sur le gravier pendant qu’un des gamins du quartier, qui s’est réveillé à l’heure pour les accueillir, traîne le bois hors du chemin de l’engin. L’école est finie pour l’été, et les jeunes loyalistes s’affaireront toute la journée à assembler des tas de dix ou cinquante palettes. Puis ils monteront la garde à la nuit tombée, bière à la main et bande-son anti-IRA en fond. Dans moins de deux semaines, le quartier protestant fêtera la commémoration de la bataille de la Boyne. Leur feu de joie, « le plus grand depuis des années », commence déjà à s’élever.
On aperçoit d’ici la chaîne de collines qui enserre Belfast. Depuis la guerre, des activistes installent sur l’herbe des messages politiques, lisibles à des kilomètres à la ronde. Ce matin, sur un des flancs verdoyants, le collectif Gael Force Art a inscrit en lettres blanches : « La partition de l’Irlande a échoué. » Les artistes pensaient s’emparer du centième anniversaire de l’Assemblée locale pour faire entendre leur voix pro-réunification. Par ces mots, ils critiquent la séparation de 1921 qui a isolé six comtés du nord de l’île pour en faire une province britannique. Mais leur déclaration résonne doublement : l’Irlande du Nord est aussi en plein bouleversement politique, son gouvernement au bord de la dissolution.
« Ces crises sont cycliques, elles se succèdent, soupire Darzo Leighton, loyaliste venu saluer les adolescents, rencontré dans le premier épisode (lire l’épisode 1, « En Irlande du Nord, le Brexit sème les “Troubles” »).