De Belfast
Il fallait que ça tombe un 5 mai. L’anniversaire du décès de Bobby Sands, héros de la cause républicaine mort en martyr dans la prison de Maze, près de Belfast, sera désormais inscrit dans le calendrier nord-irlandais comme le jour où le Sinn Féin a gagné pour la première fois les élections. Pour une nation avide de symboles, c’est plutôt cohérent. Avec ses 27 sièges sur 90 à l’Assemblée locale, le parti proréunification est désormais la principale force politique d’Irlande du Nord
Quarante-et-un ans séparent la tragédie de la victoire : le temps de mettre fin à la guerre civile, de signer l’accord de paix dit « du Vendredi saint » en 1998 et de faire quelques pas timides vers la réconciliation. Le temps aussi pour le Sinn Féin, qui a fait ses débuts comme branche politique de l’IRA (Irish Republican Army), de devenir un véritable parti politique et de lisser son image. À la suite de sa victoire dans les urnes, il pourra choisir pour la toute première fois la Première ministre de la région. Celle-ci devra siéger avec un vice-Premier ministre de la communauté unioniste dans un gouvernement de coalition.
La campagne s’est menée dans les rues. Des affiches sont apparues dans tous les quartiers de Belfast et les candidats ont passé le mois d’avril à toiser les électeurs du haut de leurs réverbères. Côté Sinn Féin, Michelle O’Neill s’est affichée comme la figure du « vrai changement », discrète sur les questions de réunification (lire l’épisode 2, « “La réunification de l’Irlande est à portée de main” ») et galvanisée par les sondages qui plaçaient son parti en tête des intentions de vote. Sa promesse : être une Première ministre « pour tous », sous-entendu « même pour les unionistes ». Ces derniers ont bataillé en ordre dispersé : les Britanniques d’Irlande du Nord ont vu leur parti majoritaire, le DUP (Democratic Unionist Party), perdre de son aura au cours des derniers mois. Leur leader, Jeffrey Donaldson, a donc choisi de jouer sur la peur et le sentiment anti-Sinn Féin pour rassembler les troupes, tout en exigeant une résolution sur le protocole sur l’Irlande du Nord, cet accord conclu après le Brexit qui impose des contrôles sur les produits venus de Grande-Bretagne qui risquent de continuer leur trajet vers le marché unique européen (lire l’épisode 1, « En Irlande du Nord, le Brexit sème les “Troubles” »).