Les salariés d’i-Télé, en grève depuis le 17 octobre dernier, ont voté la « suspension » du mouvement ce mercredi. Plutôt que de mettre au vote lors de l’assemblée générale le « protocole de sortie de crise » négocié avec la direction de Canal+ et l’empire Bolloré qui ne lui a rien cédé ou presque, la rédaction a choisi d’adopter un « texte de combat » que nous publions ici. Lors de cette dernière AG, « ultrapoignante » décrit un salarié, plus d’une vingtaine de salariés ont annoncé leur départ, parmi lesquels les reporters Léa Barraco, Guillaume Auda, également l’un des porte-parole du mouvement, le journaliste politique Jean-Jérôme Bertolus, le chef des sports Olivier Le Foll… La reprise du travail a été votée à l’unanimité moins deux abstentions. R.G. et I.R.
Le texte des salariés d’i-Télé
« Après 31 jours de grève, nous, salariés d’i-Télé, avons décidé de suspendre notre mouvement. 31 jours pendant lesquels nous sommes restés unis. 31 jours âpres, où reconduire la grève n’a jamais été un moment facile compte tenu des sacrifices financiers exigés et de notre soif de couvrir l’actualité du monde. 31 jours qui font de ce conflit, le plus long de l’audiovisuel depuis 1968. Notre objectif n’a pas été d’écrire l’histoire mais de donner un avenir à chacun de nous dans une chaîne que nous avons portée depuis 17 ans.
Ce combat a été celui de notre indépendance éditoriale, de la défense de l’honnêteté et de la rigueur de notre travail.
L’arrivée de Jean-Marc Morandini sur i-Télé, deuxième chaîne d’information en continu en France, à un horaire exposé, a suscité l’émotion légitime des salariés.
La signification brutale par la direction de l’ouverture d’une clause de conscience nous a donné le sentiment d’être poussés dehors.
Ces éléments se sont ajoutés à un malaise déjà profond. Deux motions de défiance en quatre mois. Une grève de quatre jours en juin suite à l’annonce de la suppression de 50 postes – dans une chaîne où l’exigence demandée à chacun était déjà critique.
Voilà pourquoi nous avons décidé de nous mettre en grève le 17 octobre.
Ce mouvement a été à l’image d’i-Télé. Fort mais fragile, déterminé mais respectueux. Nos assemblées générales quotidiennes ont permis à tous de s’exprimer. Les salariés ont su faire preuve de maturité et de sang froid face aux nombreuses épreuves qui ont émaillé ce conflit.
Le dialogue avec la direction a été lent, difficile, rythmé par de trop nombreuses plages de silence.
Nous n’avons pas obtenu le retrait de Jean-Marc Morandini. Mais nous avons obtenu que son travail soit très encadré et qu’aucun collaborateur d’i-Télé ne soit contraint de travailler avec lui contre son gré, une disposition sans précédent dans une entreprise de presse. Nous n’avons pas obtenu la séparation des postes de directeur général et de directeur de la rédaction. Mais nous avons obtenu des garanties sur l’indépendance de la rédaction. Le mot « indépendance » figure dans le protocole d’accord, extrait d’une charte du groupe Canal+ datant de 2002 et réactivée, en attendant qu’une charte éthique soit rédigée dans le cadre de la loi Bloche. Nous avons quatre mois pour le faire.
Ces dispositions, nous les avons obtenues pour ceux qui demeurent à i-Télé. Pour tenter de leur assurer un cadre de travail pérenne. Pour protéger ceux qui quittent i-Télé, nous avons revendiqué un cadre collectif de négociation.
Aujourd’hui, rester ou partir est un choix difficile. Et pour beaucoup d’entre nous cela ne s’apparente pas à un choix.
Tout au long de ce conflit, notre détermination a été renforcée au fil des messages de soutiens – de plus en plus nombreux. Des messages émanant de toutes les rédactions. Des témoignages de téléspectateurs. Des prises de position de responsables politiques et de personnalités médiatiques. Nous remercions chacun avec émotion.
Nous sortons de ce conflit éreintés et meurtris mais la tête haute, avec au cœur le sentiment d’avoir tenté de défendre notre honneur.
Nous sortons tous ensemble de cette grève plus que jamais attachés à cette chaîne. Ensemble nous demeurerons vigilants.
Notre combat a dépassé les murs d’i-Télé car il soulève des questions sur l’information et la gouvernance de médias aujourd’hui en France. Nous, salariés d’i-Télé, avons tenté d’y répondre humblement et en conscience. »