«C’est nous, les pauvres de Canal+. » Les pauvres et les invisibles aussi. Rien, sur cet immeuble de verre qui, entre deux brasseries anonymes, jouxte le stade de France, à Saint-Denis, en proche banlieue parisienne, n’identifie la chaîne cryptée. Ah tiens, si : juste devant, garés en double file, ces deux petits bus tout trapus. « BlueBus », est-il écrit sur le côté, et « BlueSolutions » au-dessus de la porte. Les « BlueBus » électriques de Vincent Bolloré, bien sûr, qu’il a installés partout à Canal+ depuis qu’il en a pris le contrôle et qui, ici, font la navette entre les gares RER et le CRC, le Centre de relations clients de Saint-Denis. Ils sont là, « les pauvres de Canal+ », pour reprendre le mot de Bruce, l’un des salariés. Ou du moins, ils sont encore là. Car ce sont eux qui étrennent le tout premier plan social de l’ère Bolloré à Canal+. Un officiel cette fois – rappelons que celui d’i-Télé s’est fait à la sauvage – avec 153 postes supprimés, et la fermeture du centre d’appels le plus ancien, celui de Saint-Denis, tandis que dans l’autre CRC, à Rennes, on réorganise le travail dans un sens, celui de la flexibilité des salariés – l’accord en cours de discussion porte d’ailleurs le doux nom de « Flex ».
Accrochée à son drapeau de la CGT, majoritaire au CRC de Saint-Denis, Samira a l’œil noir : « On a supporté, on est restés calmes, mais ça suffit. » À côté d’elle, Tahar renchérit : « On nous jette, on ose nous dire qu’on coûte trop cher. » Indignés et même estomaqués, les quelque 400 salariés de Saint-Denis et de Rennes ont quitté leurs marguerites – du nom de l’agencement des bureaux des centres d’appels – et se sont mis en grève depuis vendredi 8 septembre, un mouvement suivi à 95 %.