«Àmoitié fou, double peine. » Avant que les jurés ne délibèrent, Me Sébastien Schapira les a implorés de ne pas tomber dans cet écueil craint des pénalistes. L’avocat général avait demandé vingt-sept ans de réclusion criminelle. Les jurés l’ont presque suivi à la lettre. Ce jeudi 23 février 2023, un peu plus de quatre ans après avoir mis le feu à son immeuble du 17 bis rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement de Paris (lire l’épisode 1, « Incendie de la rue Erlanger : les troubles mentaux à la barre ») Essia B. a été condamnée à vingt-cinq années de prison, assorties d’une période de sûreté des deux tiers. À cette peine s’ajoutent quinze ans de suivi socio-judiciaire et d’injonction de soins à effectuer à sa sortie de détention.
La veille, le représentant du ministère public justifiait la lourde peine requise ainsi : « Qu’on ne me dise pas que je ne veux pas voir. J’ai compris le diagnostic de troubles borderline. Je constate aussi le soutien d’une famille aimante (lire l’épisode 3, « “J’ai une souffrance en moi que j’arrivais pas à contrôler” »). Je note cependant qu’Essia B. n’a jamais su se prendre en charge. La nuit du 4 au 5 février 2019 était la frustration de trop. » Pourtant, il aura fallu la plaidoirie de Léa Hufnagel, en défense, pour laisser apercevoir aux jurés et à la cour la réalité de ce dont souffre celle qui par son geste a causé la mort de 10 personnes et blessé, dans leur chair ou dans leur tête, une centaine d’autres. Durant les quatre ans d’instruction et les trois semaines de procès, aucun des médecins psychiatres qui ont suivi et soigné Essia B. avant les faits n’a été entendu. « “Borderline” ne veut pas dire “semi-malade”. Le trouble de la personnalité borderline est une maladie grave », a donc tenu à préciser son avocate. « Si on a un doute sur le fait qu’elle ne va pas bien, regardez-la. Et emportez son visage dans votre délibéré », a enjoint Me Schapira. Cette image n’aura pas empêché une lourde condamnation.

Sauf si elle décide de faire appel, Essia B.est donc en prison pour de bon. Elle ne vit plus dans cette incertitude qu’est la détention provisoire. Mais le flou persiste pour celle qui va désormais devoir gérer sa santé mentale depuis la prison. Un combat ordinaire derrière les barreaux. Car les détenus atteints de troubles psychiatriques y sont très nombreux. Et si l’on en croit les recherches effectuées sur le sujet, la prison a tendance à accentuer ces troubles.