Il avait raison avant tout le monde, mais s’en serait bien passé. Il y a un mois et demi, pour l’obsession L’étincelle, je rencontrais Joël qui, déjà, s’inquiétait de l’utilisation massive des grenades de désencerclement contre les manifestants à Paris (lire l’épisode 15, « Face aux armes, citoyens »). « Médic » à Nuit debout et dans les défilés contre la loi travail, Joël avait déjà soigné de nombreuses blessures causées par cette arme dans les parties basses du corps mais aussi dans les bras, le visage et la nuque. Et le 26 mai, Joël se trouvait cours de Vincennes à Paris, quand Romain Dussaux s’effondre à quelques mètres de lui, victime d’une très grave blessure à la tête.
Après dix jours de coma artificiel, ce comédien de 28 ans s’est réveillé lundi mais son état de santé est encore incertain. Compte tenu des nombreuses vidéos tournées sur place et des témoignages recueillis, l’origine de sa blessure ne fait guère de doute : Romain a été touché par un morceau de grenade de désencerclement lancée par un policier d’une compagnie d’intervention. Le tireur a été entendu mardi par l’Inspection générale de la police nationale (l’IGPN, la « police des polices »). Le parquet de Paris, qui mène une enquête préliminaire pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique », devrait décider d’ici quelques jours s’il désigne un juge d’instruction.
Du coin de l’œil, je vois qu’on transporte quelqu’un le long de la grille. Je ne ne vois pas sa tête ni son état physique mais il y a beaucoup de sang.
Cet après-midi-là, la manifestation contre la loi El Khomri se termine place de la Nation et les participants se dispersent dans les avenues alentour. À un kilomètre, l’arrestation d’un lycéen déclenche un attroupement à l’angle du cours de Vincennes et de la rue du général Niessel. Le jeune interpellé, entouré de quatre policiers d’une compagnie d’intervention, est assis par terre derrière les grilles vertes d’une résidence privée. En face, une centaine de personnes huent la police et scandent Libérez nos camarades
. Joël raconte qu’à ce moment précis, il discute avec des amis du lycéen arrêté, pour échanger des numéros de téléphone si leur ami part en garde à vue.
Cinq policiers longent alors les grilles pour rejoindre leurs collègues. Tout en avançant, l’un d’eux fait rouler une grenade sur le sol en direction de l’attroupement. Elle explose une seconde plus tard. Les manifestants s’enfuient tandis que Romain tombe d’un bloc en arrière, sur la chaussée.
Joël ne l’a pas vu chuter. Il s’approche d’abord d’une jeune fille qui boîte pour lui porter assistance.