Ce n’est pas une manifestation, c’est une murmuration. Une nuée de moineaux adolescents qui prend brusquement son envol, se dirige d’un coup vers ici, d’un autre vers là, s’engouffre dans la rue Louis-Blanc, dans le Xe arrondissement de Paris, pépie quelques instants devant le commissariat, fait aussitôt demi-tour vers le XIXe par l’avenue Simon-Bolivar, marque un arrêt soudain devant son nid du lycée Henri-Bergson pour mieux repartir d’un coup d’aile vers un autre commissariat tout proche, et se volatilise sitôt qu’apparaît un camion de police. Les lycéens sont dans la rue. Littéralement dans la rue, ils marchent au milieu des avenues et des voitures, ils rient, excités comme des puces, ils s’attrapent par le bras, ils s’égosillent dans des mégaphones qui crachotent, ils sont joyeux mais surtout, ils sont en colère.
La veille, jour de manifestation contre la loi travail, à quelques pas du lycée Henri-Bergson où il est en seconde, Adam dit « Danon » (prononcez comme le yaourt), 15 ans, noir, s’est pris un sacré bourre-pif en pleine tronche par un policier. La bavure, violente, a été filmée : indignation immédiate. Ces images m’ont choqué
, a reconnu le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Tu m’étonnes. Vendredi, du coup, c’est manif de soutien au lycéen d’Henri-Bergson et rassemblement devant l’établissement. D’autant que la boîte à gifles policières qui s’est ouverte la veille pour Danon a été généreuse : un autre lycéen de Bergson, Steven, en a fait les frais. Et c’est aux cris alternés de Danon ! Danon !
et Steven ! Steven !
que galope la manif de Bergson, rejointe par plusieurs autres lycées parisiens. Deux filles haranguent la troupe : Faut trouver des slogans, qui a un bon slogan ?
L’une d’elles porte un foulard bleu-blanc-rouge sur son visage qu’encadre un voile : Je suis musulmane et j’ai voulu montrer mon amour de la France pour sortir des clichés.
Combien sont-ils ? 200 à la louche, peut-être plus. Sans compter ceux qui viennent souffler sur la colère des lycéens. Encapuchonnés voire carrément encagoulés avec juste deux trous pour les yeux, ceux-là ne viennent pas d’Henri-Bergson, assurent la main sur le cœur les lycéens interrogés par Les Jours. Pendant qu’ils attrapent tout ce qui leur passe par les pognes pour s’en prendre au commissariat du XIXe (bouteilles, planches, éléments de mobilier urbain, pelle trouvée alentour), deux filles se désespèrent. La première :