Ce portrait est le fruit du hasard. Dans l’épisode 1 (« À la recherche de la colère ») de L’étincelle, Jean et Marta préparaient des affiches sur une marche de Normale sup’, rue d’Ulm, vendredi 11 mars. Œil curieux et visage fripon, barbe d’ado et sourcil interrogatif, Jean a laissé son numéro au cas où Les Jours auraient besoin d’infos sur les dates des AG ou les départs groupés en manif. Quelques jours plus tard, il acceptait de raconter sa toute jeune expérience du mouvement étudiant, devant un cappuccino débordant de mousse.
Si Jean devait être un symbole (mais il préfèrerait éviter et finit d’ailleurs par refuser d’être pris en photo), il serait celui d’une certaine aristocratie étudiante, a priori préservée du chômage et de la précarité. Les élèves de l’ENS sont recrutés sur concours, rémunérés (1 350 euros par mois) et quasi-assurés d’obtenir un emploi à la sortie dans la recherche ou l’administration. Ce qui n’empêche pas Jean de s’engager contre la loi El Khomri par solidarité
. Je comprends les gens qui sont pour la loi, mais on n’a pas à donner aux patrons ces pouvoirs-là.

Jean étudie les mathématiques, plus exactement les probabilités. Il est en master 2, une année qu’il doit effectuer à la fac de Paris-Sud, en dehors de l’ENS où il habite. Plus tard, il se voit bien chercheur. Ou alors journaliste de guerre
, ou « photographe pour National Geographic », ou créateur d’entreprise si je trouve une idée originale
. Tenaillé par plusieurs envies et rêves contradictoires
, il n’est pas angoissé par l’idée de travailler
, à condition de ne pas s’ennuyer. Il aspire à de l’aventure et de la découverte, et si c’est au pays des mathématiques, pourquoi pas
. Passionné d’escalade et bon grimpeur
, il a prévu de partir plusieurs mois au Chili à partir de cet été, pour apprendre l’espagnol et parce que j’adore la montagne
. D’ici là, le jeune homme de 22 ans compte bien mener la bataille contre la loi El Khomri jusqu’à son terme.
Il le reconnaît, ses origines familiales ne le prédisposaient pas vraiment à l’agitation étudiante. Jean est issu d’une famille très catholique, surtout [s]on père
, militaire qui a dirigé la base aérienne française de Djibouti. Il est le septième d’une fratrie de dix, leur mère est médecin. Jean a vécu en Bretagne, en Dordogne puis à Paris, où sa mère a déménagé après le divorce. Il fréquente alors le lycée Janson-de-Sailly, dans le XVIe arrondissement, où il fait une prépa scientifique avant d’être admis rue d’Ulm.
Jusqu’à cette année, l’horizon politique de Jean était très limité.