Au printemps 2016, un Afghan et deux Pakistanais décident, depuis l’île de Lesbos, d’attaquer en justice le Conseil européen. Fuyant leurs pays, ils viennent de traverser la Turquie pour rejoindre la Grèce dans l’espoir d’aller plus loin en Europe. Mais l’accord du 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie les menace soudain d’un retour en arrière. Le texte, qui va fêter son premier anniversaire à la fin de la semaine, fait alors beaucoup parler en Europe. La Turquie s’engage à « reprendre » tous les migrants en situation irrégulière qui rejoignent depuis ses côtes la Grèce à partir du 20 mars (elle en reprendra un peu plus d’un millier en dix mois). En échange, les Européens promettent 6 milliards d’euros d’aides, la fin des visas pour les Turcs souhaitant voyager dans l’espace Schengen, et la reprise des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE.
Les trois réfugiés estiment que ce dispositif bafoue la Charte des droits fondamentaux de l’UE et risque de les renvoyer vers la Turquie, pays qu’ils ne jugent pas sûr. Leur avocat saisit donc le tribunal de l’Union européenne (le juge de droit commun de l’UE). Et découvre avec surprise, quelques mois plus tard, la défense du Conseil européen, qui indique qu’à sa connaissance, aucun accord ou traité […] n’a été conclu entre l’Union et la République de Turquie
. Mais alors, ce texte présenté à toute l’Europe le 18 mars 2016 ? Juste le fruit d’un dialogue international
entre les États membres et la Turquie, qui ne saurait produire des effets juridiques contraignants ni constituer un accord
, répond le Conseil européen. L’ordonnance rendue le 27 février dernier lui a donné raison : il n’y a aucun accord international entre l’UE et la Turquie, juste une déclaration politique
des États membres, qui n’est pas attaquable et ne nécessite pas d’évaluation des effets
Ce qui n’a pas empêché mercredi le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, dans une interview à la chaîne de télévision 24TV, de brandir une nouvelle menace d’annulation (la cinquième en un an) de cet accord.
L’ambiguïté révèle une Europe assumant très mal, du moins publiquement, de confier à des États tiers, pas toujours très démocratiques, la tâche de contenir les flux migratoires avant qu’ils ne s’approchent de ses frontières (le Conseil européen utilise une expression plus généreuse : il cherche à retenir les migrants au plus près de leur pays d’origine
).