Il y a un peu plus d’un mois, les serveurs du site What.cd étaient débranchés et les quinze dernières années passées sur internet sont repassées devant mes yeux. Encore une fois, j’assistais à la fermeture d’un site où la musique s’échangeait hors marché ; cette fois à l’initiative de la Sacem, la société qui collecte et défend les droits des auteurs et compositeurs.
Avant What.cd, j’ai connu la fermeture de Napster, de Kazaa, de Oink et de MegaUpload – pour ne citer que les plus marquants. Tous étaient illégaux selon les lois françaises, européennes et américaines. Tous étaient aussi l’expression d’une époque, d’une émancipation des auditeurs face à une industrie de la musique sur la défensive. Mais à la différence de ses prédécesseurs, What.cd existait toujours en 2016 ; l’ère du streaming, de l’accès gratuit à plus de musique qu’on ne pourra jamais en écouter.
J’ai donc commencé à m’interroger sur les motivations des membres de What.cd. Pourquoi aller s’enfoncer dans un underground aux codes complexes alors que tout le monde a aujourd’hui accès à énormément de musique gratuitement et légalement, sur YouTube ou sur les plateformes comme Deezer et Spotify. « Sur What, il y avait tout, vraiment tout », m’a simplement répondu Yannick, 34 ans, qui était déjà membre de Oink’s Pink Palace, le prédécesseur de What, avant sa fermeture en 2007.
What et Oink sont des sites frères, deux trackers de torrents dédiés à la musique – des librairies de liens permettant le téléchargement gratuit de centaines de milliers d’albums. Oink, créé et organisé par Alan Ellis, un étudiant britannique sans histoire, a été fermé fin 2007 lors d’une descente de police menée dans sa colocation. Les 180 000 membres de Oink à cette époque se pliaient à une discipline quasi militaire imposée par Ellis : chacun devait maintenir un ratio positif, c’est-à-dire mettre plus de musique à disposition qu’il n’en téléchargeait, documenter au maximum les albums proposés (livret, biographie…) et surtout les proposer dans la meilleure qualité possible. Pas question, sur Oink, de diffuser un album en moins bonne qualité que le MP3 320 kbps, c’est-à-dire sans perte sonore audible par un humain. Mieux, cette armée de geeks avait très tôt adopté des formats de compression dits lossless, sans aucune perte d’information par rapport à un CD ou un vinyle.

De 2004 à 2007, Oink a été un paradis musical parfaitement organisé, riche de mille recoins où l’utilisateur pouvait découvrir des artistes inconnus ou discuter de sa passion pour Madonna avec d’autres fondus du bout du monde.