Il ne faudrait surtout pas penser que le labyrinthe infini que l’on regroupe depuis longtemps sous l’étiquette « musique classique » n’a aucune chance avec le streaming. Que ces musiques vont mollement mourir au son larmoyant d’un violoncelle. Non. Elles vont bien, merci. Elles vont, elles aussi, basculer au « streaming first ». Il suffit de regarder les chiffres 2017 du marché de la musique en France, communiqués récemment par le Snep, le syndicat des majors de la musique : si les 15-29 ans sont la tranche d’âge la plus hyperactive parmi les utilisateurs des diverses plateformes d’écoute en ligne, les auditeurs âgés de plus de 30 ans comptent déjà pour plus de 60 % des streamers. Et leur part ne va faire qu’augmenter au fur et à mesure que leurs habitudes vont changer, qu’ils vont s’éloigner du CD – c’est là que se trouve aujourd’hui le public du classique – pour aller vers les applications mobiles.
Par contre, cette révolution ne se fera pas sans heurts pour la musique elle-même. Car le streaming, en tout cas dans ses logiques actuelles, néglige complètement les albums, les longs formats (lire l’épisode 17, « L’album maudit des plateformes »), au profit de la playlist. Et ça, c’est difficile pour l’opéra, pour les symphonies, pour des musiques qui ne cherchent pas à vous faire danser pendant trois minutes ultra-efficaces.
Lorsque je suis allé voir Bertrand Castellani, le vice-président du catalogue international de la major Warner Classics, pour aborder cette question des playlists, j’ai commencé par lui parler de ce qui me paraissait une contradiction : isoler des actes d’opéra ou des mouvements de symphonie pour les agglomérer avec d’autres dans des playlists qui ne racontent pas grand-chose.