Snif, Johnny est mort. C’est la France des yéyés qui part en volutes gominées, tout ça. Mais nous, on en dit quoi aux Jours ? Déjà, on n’en pense pas grand-chose. Pas question de minimiser les sentiments des fans ou la place du chanteur dans la culture populaire française du dernier demi-siècle, mais Johnny Hallyday était déjà has been depuis un bout de temps et on ne va pas se forcer à pleurer un artiste qu’on n’a jamais écouté volontairement – si ce n’est lors de karaokés bourrés que la morale réprouve. Quant à l’homme, on n’a jamais su vraiment ce qu’il avait dans la tête à part qu’il pensait à droite et qu’il trouvait que Nicolas Sarkozy était un bon Président.
Lorsque nous avons créé Les Jours, c’était pour sortir de la dictature de l’événement. Arrêter de dégainer des articles forcés parce qu’il « faut » en parler. Nous voulions ralentir, creuser l’actualité pour donner à comprendre notre époque plutôt que d’alimenter le robinet à infos copiées-collées qui ne fait avancer personne. Nous n’allons donc envoyer personne à la gare Saint-Lazare pour écouter les voyageurs pleurer « leur » Johnny préféré – vous êtes plutôt Golf Drouot ou veste à franges et Harley ? –, ni raconter l’ascension du meilleur vendeur de lunettes que la France ait connu.
Malgré tout, un peu de notre monde musical s’en va avec Johnny et ceci a un lien direct avec la révolution que je raconte depuis quelque temps dans La fête du stream. Car avec Johnny, c’est l’ère des chanteurs-interprètes qui disparaît encore un peu plus. Il n’y en aura plus comme lui, il y en aura peu après lui et ceux de sa génération yéyé. Simplement parce qu’on ne peut pas vivre dans le monde musical d’aujourd’hui en n’étant qu’interprète.
Lorsque Johnny a commencé à imiter Elvis Presley sur les scènes françaises au tout début des années 1960, le monde se divisait en deux catégories : les chanteurs « rive gauche » intellos – Ferré, Brel, Brassens, Vian… –, qui interprétaient la plupart du temps des chansons qu’ils avaient eux-mêmes écrites, et les nouveaux venus décidés à dégommer ce vieux monde. Les yéyés, donc. Mais ce débarquement se faisait quasi exclusivement en traduisant des chansons venues d’ailleurs. Souvenirs, souvenirs, le premier succès de Johnny en 1960, est ainsi un duplicata vite traduit de Souvenir, une chanson bizarrement dénichée en Allemagne où elle a été popularisée par Bill Ramsey, un Américain jamais reparti après son service militaire.