Junior Makasi est un grand gars très décidé et, pour lui, la musique en streaming, « c’est du business ». Le reste est secondaire. Lorsque j’ai rencontré le fondateur du label rap Giv Me All, peu connu du grand public mais responsable de quelques débuts de carrière récupérés plus tard par plus gros que lui – la chanteuse Tal et le lover Axel Tony notamment –, il m’a expliqué que la réussite de ses artistes répondent désormais à ce qu’il appelle « un algorithme ». Une stratégie qui est un exemple intéressant de ce que l’émergence du streaming a fait au rap – et fera peut-être un jour à toute la musique la plus commerciale.
Dernièrement, c’est avec le rappeur romantique Scridge que Junior Makasi a retenté le coup. « Le processus est toujours le même, décrit-il, on bosse et dès qu’on a un titre qui peut être un single, qui peut cartonner, on le garde de côté. Ça sera notre atout. Autour de ce single, on enregistre deux-trois titres qui sont bons mais qui ne sont pas des tubes, qu’on va lancer en amont, et deux-trois autres pour après. Puis on lance un premier titre pour poser un univers et on voit ce qu’il faut changer. L’idée, c’est de créer une base de fans avant toute chose. » Il ne s’agit pas d’y aller au feeling mais avec méthode. « Aujourd’hui, pense Junior Makasi, l’artiste fait ce que sa communauté demande et c’est la stratégie [du rappeur et chanteur] Scridge. On a fait une musique, ça n’a pas accroché… Puis deux, trois de styles différents avant que ça prenne. Avant, c’étaient les médias et les pros qui décidaient de ce qui sortait ; maintenant, c’est le public qui dicte tout ! Il consomme la musique comme n’importe quel produit, donc si tu ne lui donnes pas ce qu’il veut, il va voir ailleurs. » Bienvenue dans la dure réalité du music business en 2017.

Chez Arista, l’un des labels de la major Sony en France, Vincent Boivin s’occupe notamment du rappeur Jok’Air et de son ancien collectif MZ. Lui aussi a appris à renverser ses stratégies habituelles pour partir du terrain et non plus des médias, pour parler directement aux 15-25 ans qui forment aujourd’hui le très gros des auditeurs du streaming. « Jok’Air est hyper impliqué, il est constamment chez lui, dans son quartier, à échanger. Les mecs comme lui ont rapidement une base, 12 000 likes Instagram sur un titre, mais ils ne s’arrêtent jamais de lire les commentaires, de travailler pour s’adapter à ce que leur public pense. »
Bien entendu, il faudrait être naïf pour penser que cette adaptation au plus près des envies du public est une nouveauté imposée par les méchants réseaux sociaux et le malfaisant streaming.