Dans mon premier article consacré à la révolution que les playlists font subir à l’écoute de la musique sur internet (lire l’épisode 13, « Le règne de la playlist »), je vous disais que rien ne serait plus comme avant. Je vous ai un peu menti ; en réalité, tout est en train de redevenir comme avant.
Dans ce monde du streaming, les nouveaux acteurs sont les plateformes elles-mêmes (Deezer, Spotify, Apple Music, YouTube), des curateurs devenus professionnels, comme Majestic Casual ou Delicieuse musique, et les marques de playlists des majors, comme Digster (Universal), Filtr (Sony) et Topsify (Warner).
Celles-ci font ce qu’elles savent faire : pousser leurs tubes et leur catalogue, divaguer parfois avec une playlist un peu plus riche. Et à côté, rien ou presque. Les labels indépendants, qui représentent pourtant quelque 80 % de la production, sont bien souvent dépassés par tout cela. Il n’y a qu’Apple Music, le dernier arrivé de taille dans le game du streaming musical, qui a fait un choix d’outsider en misant fortement sur ces indépendants pour construire son offre de playlists. Commercialement, c’est avant tout un affichage qui permet à Apple de s’acheter une image d’artisan de la création pour pas cher – de la même façon que la boisson Red Bull se construit une aura branchée en finançant la musique avant-gardiste –, mais le résultat est régulièrement intéressant.
Aujourd’hui, Apple Music me propose ainsi un retour sur le label britannique Tempa, chantre du dubstep, qui colle à mes écoutes de ces dernières semaines. Je peux aussi redécouvrir Manu Dibango, un colosse du saxophone avec beaucoup d’âme
. Pourquoi pas, mais j’espère que la playlist préfère Soul Makossa à son duo avec Pit Baccardi. Apple Music a aussi décidé que j’aime BEAUCOUP la musique brésilienne et me propose une playlist consacrée aux collaborations de Chico Buarque
et une autre sur Gilberto Gil dans les années 1970
. Ailleurs, on peut croiser des playlists aussi exigeantes que les influences d’Actress
ou Atmospheric Glitch
. À chaque fois, la sélection est érudite et ouvre un monde entier de musique.
Pour créer tout cela, les équipes hexagonales de la marque à la pomme sont en train de recruter des fouineurs parmi l’underground français, en sollicitant par exemple La Souterraine, point de rencontre d’une nouvelle scène francophone téméraire, ou Kill the DJ, pilier de la scène électronique française depuis les années Pulp.

Mais il y a beaucoup de pédagogie à faire au passage, car comme le dit Fany Corral, la cofondatrice du label, Kill the DJ a un profil old school. Les playlists, c’est un truc qu’on prend clairement dans la gueule. Nous, on a 12 ans, on a vendu des disques, puis on a vendu des mp3… Maintenant, c’est le streaming, et notre distributeur, Idol, nous dit qu’il faut foncer. Mais on ne sait pas faire ça et ça a l’air compliqué. En plus, il faut qu’on paie nous-même l’abonnement à Apple Music pour administrer notre page ! En face, la carotte est en carton : si des gens s’abonnent via notre page, on récupère la moitié du premier mois d’abonnement… Super !