Dans son bureau au 36, le commissaire adjoint de la Mondaine, Lucien Aimé-Blanc, compulse les dépêches et télex du jour, ce 29 octobre 1965, lorsque le chef du groupe des Stupéfiants Louis Souchon entre, flanqué de son inséparable second, Roger Voitot : Bonjour Lucien. Dis donc, on doit interpeller un Bic au Drugstore Saint-Germain. J’ai besoin du break
, demande Souchon. Préposé à la gestion des véhicules de la brigade, le boss lui tend les clés et les papiers de la 403 Peugeot noire destinée d’habitude au « ramassage » des prostituées, il note dans le cahier le nom de l’inspecteur qui l’emprunte et l’intitulé de la mission, en remplaçant le mot Bic
par Nord-Africain
. Vous me le rapportez quand ?
On en a besoin pour la journée. […] Si ça t’intéresse, tu peux venir avec nous, on se fera une bonne bouffe après
, propose Souchon. Mais « Lulu », le tombeur, ne veut pas rater son rendez-vous avec une fille de la rue Godot-de-Mauroy
et opte pour d’autres plaisirs que ceux de la table
. Bien m’en a pris
, me dit aujourd’hui le commissaire Aimé-Blanc.
Le directeur Fernet veut te parler. […] Rien de grave, une connerie, ça va s’arranger.
Car à 12h30, devant la brasserie Lipp boulevard Saint-Germain, ses deux subordonnés de la Mondaine ont en réalité embarqué à bord du break noir Mehdi Ben Barka, principal opposant au roi du Maroc, leader du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste, qu’on ne reverra plus jamais après cette scène d’arrestation. Une semaine plus tard, le commissaire Aimé-Blanc ignore encore la responsabilité de ses gars dans le kidnapping, lorsque Souchon l’entraîne chez lui pour déguster une paëlla cuisinée par son honorable correspondant
Antoine Lopez. Agent du SDECE – service de renseignements extérieurs – et chef d’escale d’Air France à Orly, Antoine Lopez est un correspondant habituel
de la Mondaine pour les trafics de drogue. D’ailleurs, c’est lui qui avait mis Souchon et Voitot sur la piste d’un exportateur de came arrêté au Havre voilà quelques semaines. Mais ce qui intrigue Lucien Aimé-Blanc, c’est la curieuse demande de Souchon, un peu nerveux : Lucien, faut que tu m’aides à convaincre Lopez de venir au 36 voir Fernet
, Max de son prénom, le patron de la PJ parisienne. Pas du genre à poser des questions, Aimé-Blanc croit à un rendez-vous pour une affaire de stupéfiants. Mais à la fin du repas, Souchon lance à Lopez : Le directeur Fernet veut te parler. […] Rien de grave, une connerie, ça va s’arranger. N’est-ce pas Lucien ?
Sans savoir de quoi il retourne, Aimé-Blanc acquiesce.