Nous sommes le 12 janvier 2014. Au ministère des Affaires étrangères, à Paris, onze ministres français et étrangers regardent, pétrifiés, un petit film de quelques minutes où défilent une à une des images impensables. Les photographies de milliers de cadavres nus ou seulement vêtus de sous-vêtements, figés par une mort brutale. Squelettiques, tabassés, mutilés, les corps se succèdent, le visage parfois brûlé à l’acide. Certains ont été énucléés. Quand le film s’arrête, pendant quelques instants, rien ne vient briser le silence qui se déploie sous les ors du Quai d’Orsay. Ces images ne sont qu’un aperçu. Un extrait d’un dossier de plus de 28 000 photos de corps suppliciés, sortis des centres de détention du régime syrien, numérotés et empilés dans des morgues et des hangars. Les ministres sont livides. L’usage de la torture par les renseignements syriens n’est pas une révélation. Depuis des années déjà, des échos de leurs pratiques sont parvenus aux oreilles de la communauté internationale. Mais ces photographies donnent à voir une industrie de l’horreur d’une ampleur insoupçonnée. Témoignant « de la cruauté systématique du régime de Bachar Al-Assad » depuis 2011, selon les mots de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de l’époque, elles sont les premières preuves matérielles des crimes commis dans ses geôles. Et dans les bureaux des justices européennes, elles créeront bientôt une réaction en chaîne, lançant les enquêteurs sur la piste de bourreaux présumés réfugiés en Europe incognito. Dont un certain colonel Anwar Raslan (lire l’épisode 1, « À la recherche d’Anwar Raslan, tortionnaire syrien »).